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« Under The Skin » de Jonathan Glazer - 2014

jeudi 10 juillet 2014, par Sébastien Bourdon

Après quelques secondes de film, on comprend que sous nos yeux un œil humain se constitue ex nihilo, sur un fond sonore obsédant (une voix, comme répétitive). Cette fabrication organique et mécanique nous amène tout de suite à l’idée que le personnage principal est une pure construction, une fiction dans la fiction, et ce n’est pas faire offense au film et à son intérêt que de révéler que nous allons en effet suivre les pérégrinations d’une extraterrestre dans une Ecosse contemporaine populaire, sauvage et pluvieuse.

La première idée de génie est de faire jouer cet « Alien » par une star internationale, car quoi de plus extraterrestre en effet qu’une vedette de papier glacé, Scarlett Johansson en l’espèce. Elle est ici transformée en fleur des faubourgs, teinte en brune et habillée comme une pin-up locale, portant jean neige et pull rose décolleté.

N’étant qu’apparence et dissimulant un fond inquiétant, l’actrice américaine - en cela déjà étrangère aux lieux où se déroule le film – incarne un personnage qui découvre progressivement son enveloppe corporelle, quand elle était justement, et pour cause, absente à cette dernière, ne la portant que pour se fondre aux autres (et mieux s’en saisir pour les annihiler). L’exercice est difficile et l’actrice s’en sort avec une aisance qui fascine. N’hésitant pas à s’exposer jusque dans sa nudité crue, Scarlett Johansson est aussi sensuelle qu’effrayante, interprétant il est vrai une prédatrice sans affect aucun.

En effet, l’extraterrestre dont il est question utilise sa plastique pour appâter des hommes, proies faciles, et les éliminer au cours d’un processus horrifique qui relève plus d’un happening à la FIAC que d’un film d’horreur traditionnel. Se refusant à tout piège stylistique ou formel, le film mélange ainsi le cinéma documentaire dans son étude de la population locale, mais se pique aussi d’un art contemporain exigeant tel que pratiqué par les vidéastes, tout en maniant également des formes esthétiques pures en photographiant la nature sauvage et hostile des landes et plages écossaises.

Nécessairement subjugué par la forme, force est de constater que le fond n’est pas en reste. « Under The Skin » en est même difficile à totalement appréhender, tant les pistes de lecture sont nombreuses.

L’œuvre, souvent contemplative et elliptique, est ainsi régulièrement traversée de soudaines fulgurances, violentes comme des prises de conscience. C’est d’ailleurs exactement ce dont il s’agit, avoir une peau ne suffit point pour être homme, mais peut-être un vaisseau pour atteindre cet état. On ne naît pas humain, on le devient, ce que semble comprendre l’héroïne qui, par l’accumulation de rencontres et d’expériences, se voit peu à peu gagnée par son enveloppe extérieure, et voit cette peau prendre le dessus sur le monstre froid qu’elle contient.

Emotion, empathie et sensualité, qu’a-t-on de mieux à vivre et offrir avant de quitter cette planète. Le film le suggère peut-être, mais n’offre évidemment pas nécessairement un tel confort à celui qui le regarde, la cruauté n’est jamais absente, même si elle ne nous prive pas de la beauté des choses. Notre créature venue d’ailleurs va se heurter à d’inévitables murs, qu’elle n’aura pu ou su envisager, quant au spectateur, bringuebalé avec elle, il lui est laissé le soin de comprendre, deviner ou interpréter ce qui se passe à l’écran.

Traversé par la terreur, l’émotion et l’extase esthétique, on ne sait plus trop ou donner de l’âme dans un film qui n’en manque pas, mais se garde bien de la dévoiler complètement.

Sébastien Bourdon

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