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Greetings from the Third World

vendredi 6 juin 2008, par Sébastien Bourdon

Il y a des disques. Des disques à propos desquels je peux me remémorer très précisément les circonstances de la découverte, de l’achat et de l’écoute. Il en est notamment ainsi de Angel Dust de Faith No More, acheté le jour de sa sortie, en juin 1992. A l’époque en juin, il faisait beau, on l’a acheté chez Gibert, on a mangé des kebabs en terrasse, puis on est rentré écouter ça chez moi avec le live de Black Sabbath avec Dio (Live Evil). Bon, à la place, on aurait pu aller draguer au Luxembourg, mais bon, ça on ne savait pas faire, alors pour survivre, il y avait le heavy metal.

Le 6 juin au Bataclan, c’était exactement le sujet. Remontons un peu en arrière encore quand même : en 1993, je traîne au Virgin des Champs-Elysées (plutôt que de courir la touriste suédoise sur la même avenue...) et je vois en écoute sur une borne Chaos AD de Sepultura. Je le pose sur mes oreilles et c’est la déflagration. A compter de ce jour, je ne cesserai plus de vénérer ce disque, et encore plus le suivant, Roots, un des albums les plus importants de l’histoire de la musique selon l’auteur de ces lignes, splendide bombe sonique mâtinée d’influences brésiliennes. Le concert au Zénith qui suivit ce disque fût un des moments les plus incroyables de mon existence (j’aurai pu aller draguer la touriste sud-américaine dans le parc de la Villette mais bon, on ne se refait pas). Comme le rappelait un ami, à la fin de ce concert, il pleuvait dans la salle, fruit de la condensation des sueurs conjuguées des musiciens et de leurs fans.

Sepultura, pour les novices, est un groupe brésilien, originairement constitué de deux frères, Max (guitare et, euh, chant) et Igor Cavalera (batterie), épaulés par les délicats Paulo Jr (basse) et Andreas Kisser (guitare). L’irruption de ce groupe sur la scène musicale mondiale fût un évènement incroyable, le tiers-monde débarquait sur les terres occidentales avec une musique d’une rare intensité, agrégat du heavy-death-thrash metal occidental augmenté d’influences brésiliennes et indiennes. Comme j’ai pu le lire dans une revue de sociologie axée sur la musique, ce fût un signe fort de possibilité d’exister envoyé à tous les musiciens brutaux, du Maroc à Taïwan.

Puis, comme souvent dans le rock n’ roll, il y eut des heurts et tensions, les deux frères se séparèrent, le batteur Igor restant avec Sepultura, le guitariste Max créant Soulfly. C’est resté bien, mais bon, on passait de Roots, disque à même de décoller les papier-peints les plus résistants, à une production moins inspirée et plus lisse (avec des éclats certes, ainsi le dernier Sepultura en date, inspiré de « L’enfer » de Dante est remarquable).

Dix ans plus tard, le Net est là et il vibre l’an passé d’une nouvelle à laquelle les afficionados n’osaient plus rêver : Igor quitte Sepultura et a un projet avec son frère, projet qui s’appellera Cavalera Conspiracy. Je me suis pris à trembler derrière mon ordinateur. En 2008, le disque est sorti, et sans rejeter leur son passé, les frères ont pondu, épaulés de l’extraordinaire guitariste de Soulfly, Marc Rizzo, et du français Joe Duplantier (leader de Gojira), une superbe galette sonique, sauvage et équilibrée, qui s’écoute d’un trait avec jubilation.

Et puis hier soir, le concert. Le Bataclan a pris feu. A la fin du concert, j’ai même vu une fille en maillot de bain, tatouée et en sueur. C’était beau.

De notre côté, on ne s’est pas rué dans la fosse. En effet, on a pris de l’âge alors on s’est mis légèrement en hauteur derrière la sono. Mais on n’a pas réussi à garder nos « bouchons anti-bruit ». Le bruit était tellement beau.

Tout le disque de Cavalera Conspiracy y est passé, et leur répertoire tout frais est impressionnant sur scène, je vous défie de rester statique à l’écoute de « Sanctuary » ou « Inflikted », titres qui nous ont été assenés coup sur coup, d’entrée de jeu. J’ai également une tendresse particulière pour les 2,12 minutes festives de « The doom of all fires » : comme une envie un peu bête de sauter dans tous les sens. Un mot quand même sur le cogneur de service (et l’un des tout premiers dans mon panthéon des grands batteurs du monde mondial) : Igor était l’illustration parfaite du « batteur impérial », groove implacable, frappe de furieux et énergie brutalement et férocement canalisée vers l’os.

Les plongeons dans le passé furent également hallucinants, face à un public totalement dévoué à la cause, couvrant de ses chœurs les titres antiques comme (oui, oui) « Arise », « Inner Self » et autres « Attitude ». Ils nous assénèrent même « Policia », reprise de Ratos de Poraos, obscur combo brésilien qui ne doit sa minute de gloire qu’à ses compatriotes avec leur judicieuse reprise de ce titre qui n’est pas sans évoquer, en moins de deux minutes, une descente de police dans les Favelas.

Et puis, dans le métal, il y a des hymnes et chance, Sepultura en a composé au moins deux : « Refuse/Resist » et « Roots, Bloody, Roots », morceau qui conclura le concert. Ces titres me donnent invariablement la chair de poule et là, j’y ai perdu ma voix et ma nuque, à l’instar de toute la salle vraisemblablement.

Ces retrouvailles des deux frères donnèrent également lieu à des festivités familiales sympathiques, genre le fils aîné de Max qui vient chanter sur un titre (avec une voix outre-tombale phénoménale pour un type qui doit avoir tout au plus 16 ans, on s’est dit que ça devait faire bizarre quand il réclamait des Chocapic), le fils cadet (13 ou 14 ans ?) qui remplace son oncle derrière les fûts sur le délicat « Troops of Doom ». On a même eu le fils du batteur, du haut de ses à peine deux ans, qui reste assis derrière son père, un casque anti-bruit sur la tête.

Pour finir, cette musique me bouleverse et m’électrise encore et toujours parce que, profondément, elle parle du monde tel que je le vois et que je le ressens. Quand Max Cavalera gueule, mon univers devient cohérent et logique. Comme une explication soudaine venue d’on ne sait où.

« Open up your mind and go your own way »

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