Accueil > Francais > Cinéma > Qu’on est bien en France

Qu’on est bien en France

« Un Prophète » de Jacques Audiard

mardi 30 mars 2010, par Sébastien Bourdon

Une fois n’est pas coutume, mais avec cette vie en presque province à la porte de Paris, on est parfois un peu décalé, j’ai donc vu ce film après tout le monde, et notamment nombre d’entre vous (« quoaaaa, tu n’as pas vu le prophète ??!!! Film de l’année 2009 mec !!! »). L’exercice est toujours périlleux, regarder un film après un tel succès public et critique, comme on dit dans les gazettes n’est-ce pas, c’est courir le risque d’être déçu. Et bien non, je ne le fus point.

L’acteur principal, Tahar Rahim, a eu le César du meilleur espoir masculin et du meilleur acteur. Et il ne l’a pas volé. On est passé à côté de l’Oscar du meilleur film étranger. Et on aurait du le voler.

Deux heures trente-cinq de film et pas un temps mort, mais également de vrais moments d’apesanteur. Ma voisine, une femme charmante, m’a dit, au bout d’une heure et demie, « c’est bien, mais j’ai l’impression qu’on a fait le tour maintenant ». Un instant après, elle m’a attrapé fébrilement et nerveusement le bras et ne l’a pas abandonné jusqu’à la fin du film, relâchant plus ou moins son étreinte (une heure et dix minutes donc. Et puis, à la fin, on est resté assis dans le noir, comme abasourdis.

Si l’on retire de la définition Larousse du mot prophète ses aspects religieux, il reste : une « personne qui parle d’un évènement futur ».

On n’est pas obligé de donner à ses œuvres des appellations au plus près de ce dont elles parlent. Audiard ne s’incommode en tout cas pas de ce genre de principe. Le héros a quelques visions prémonitoires, mais ce qu’il vit c’est du présent, du tout de suite, de l’urgence qu’il va gérer habilement et mécaniquement, de manière parfaitement amorale. Mais ce n’est pas de sa faute, on ne lui a pas appris. Il n’est pas indifférent à la morale, il en ignore simplement les règles et les principes.

Sur un blog que j’aime bien, « New Wave Hooker », le blogger, après avoir vu Un Prophète, déclarait : « Jacques Audiard sauve la France ». Carrément. Il est vrai que l’auteur de cette phrase, le pauvre, avait vu juste avant un film de Christophe Honoré (je vous mets en bas de chronique le début du synopsis de ce film, « non ma fille, tu n’iras pas danser », juste pour vous donner une idée de quel genre de cinéma français l’on parle *) !

Car voilà, Un Prophète, c’est vraiment ici et maintenant. Enfin un film qui se passe dans ce pays, avec ceux qui y vivent aujourd’hui. Ce n’est certes pas la face la plus glorieuse de notre belle contrée (les corses s’en sont d’ailleurs plus offusqués que les arabes, ce qui est... drôle), mais oui, on est en France et on y parle arabe (le pendant tunisien dans le film, si j’en crois mes sources). On y parle corse aussi, les langues s’apprennent et se transmettent, avec le français comme esperanto pour tous.

Je me suis reconnu dans cette population, ils sont de l’endroit où je suis né, ils en font partie. Sensation similaire à celle que donnait le sublime La graine et le mulet d’Abdelatif Kechiche.

La Justice et l’Etat sont également remarquablement incarnés, mais Audiard se refuse à toute tentation documentariste. Il filme la réalité du mitard, mais également, en auteur, l’apparition cinématographique de fantômes, humains ou animaux à la limite de l’onirisme et de l’étrange. Et puis, de toute façon, tout le monde le sait maintenant que les prisons françaises fabriquent des monstres. A quoi bon l’expliquer encore, ça n’intéresse pas les électeurs assoiffés de sécurité immédiate (et illusoire).

Et puis quel superbe polar tout simplement. Quoi de plus urbain et noir que la naissance d’un caïd. Comme les américains, mais en mieux.

Je suis sorti de la salle comme grandi, avec une stature de plus. S’il est du devoir de l’art d’élever l’homme, le contrat est rempli avec ce film. Putain de film.

Sébastien

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.