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« Lacombe Lucien » de Louis Malle (1975)
vendredi 6 juin 2025, par
History of Violence
Juin 44, dans un Sud-ouest ensoleillé, Lucien (Pierre Blaise), un jeune gars de la campagne aimerait quitter son travail à l’hospice pour une activité plus exaltante. Refoulé dans sa tentative de rejoindre le maquis, le voilà embauché dans la collaboration, presque par hasard.
Comment devenir un salaud, avec une absence totale de conscience politique, mais juste par envie d’adhérer à quelque chose, mû par la paresse et le désœuvrement. Par solitude aussi, et désir de la voir cesser.
L’hôtel où crèche la milice a des allures de rade de film noir, chapeau Fedora et bretelles, vieux jazz qui craque. Dans la police allemande, il y a même un noir, Hippolyte (Pierre Saintons), martiniquais, qui fait figure de gangster comme en Amérique. On s’attendrait presque à voir surgir James Cagney, sulfateuse au poing.
C’est en réalité une toute autre atmosphère qui y règne, d’où est exclue toute forme de romantisme. Ces gens sont dégueulasses et violents et cette fin de règne sanglant sent le prochain balayage par l’histoire.
La caméra se colle à cette humanité sinistre, ne nous dissimule pas sa veulerie. Ces gens ne sont de surcroît que la partie émergée de l’iceberg, les centaines de lettres de dénonciation qui atterrissent tous les jours cachent mal un tréfonds particulièrement dense.
Louis Malle ne semble pas juger son personnage, portant un regard plutôt interrogatif : comment ce gamin, certes un peu fruste, peut-il ainsi adhérer à ce système ? Pour l’autorité et le prestige, d’ailleurs factices puisque fruits de la peur infligée aux autres ?
Le plus souvent mutique, avec parfois des réactions brutales, qu’il esquisse un sourire ou tue un lapin, Lucien est déconcertant. On a beau le filmer de près, il reste un mystère. Il tombe finalement amoureux d’une jeune juive cachée (Aurore Clément), mais on ne sait si ce sentiment confirmera son dérapage ou s’il offrira une forme de salut.
Émondeur d’arbres devenu acteur, Pierre Blaise habite le rôle avec une puissance naturelle déconcertante. On ne saura jamais ce qu’il aurait pu advenir de sa carrière, puisqu’il s’est, trop jeune et trop vite, fracassé sur un platane.
Même si l’histoire officielle a été mise en lambeaux depuis la sortie de ce film, Louis Malle la dynamitait déjà sévèrement, avec un sens de la provocation et une pertinence qui frappent encore très juste aujourd’hui. On sait que le réalisateur reviendra plus tard sur la période de l’Occupation, pour un film différent mais pas moins intense, « Au revoir les Enfants » (1987).
« Lacombe Lucien », plus qu’un film dans l’histoire du cinéma, un film dans l’histoire de France.
Sébastien Bourdon