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« Ida » de Pawel Pawlikowski (2014)

jeudi 13 mars 2014, par Sébastien Bourdon

Naima

Où l’on apprend dès le début qu’Anna s’appelle en réalité Ida, qu’elle est juive, et ne l’avait jamais su. Dans la Pologne de 1962, orpheline élevée dans un couvent et sur le point de prononcer ses vœux, elle le découvre à l’occasion d’une rencontre avec sa tante, jusqu’alors inconnue. Ida donc, a vingt ans, est ravissante, et brille d’une discrétion naturelle qui ne résiste toutefois pas à l’intensité de son visage. Celle qui l’incarne avec une telle présence, l’actrice Agata Trzebuchowska, semble tout droit sortie de « L’aurore » de Murnau (1927), tant son physique est expressif, impression amplifiée par le noir et blanc magnifique du film.

Sa tante Wanda (Agata Kulesza) est quant à elle revenue de tout. C’est une survivante, juive miraculeusement restée en vie quant tous les siens ont disparu dans la violence et le sang. Communiste fervente et résistante pendant la guerre, elle est devenue ensuite « juge rouge », au service de l’état, au nom de ses convictions de jeunesse dont il ne reste plus grand-chose à quarante ans passés. Ravagée intérieurement, elle tente de noyer les désarrois de son âme dans la fumée et l’alcool, aux bras des hommes de passage. Cette femme est incroyablement belle et admirablement interprétée, personnage comme tombé dans sa propre fêlure, à l’humour ravageur et à la tendresse malgré tout intacte.

Le réalisateur Pawlikowski donne une fois encore admirablement chair et vie à ses personnages, surtout si ce sont des femmes, sujets qui semblent beaucoup plus le passionner que la gent masculine, comme il l’avait déjà prouvé dans un très beau précédent film tourné en Angleterre, « My Summer Of Love » (2004).

Si Wanda a finalement retrouvé sa nièce, c’est pour lui révéler qui elle est, mais surtout pour qu’elle l’accompagne à la recherche de ce qui a bien pu advenir de leur famille. Comment ils sont morts et où sont-ils enterrés, dans cette Pologne profonde et paysanne, où toutes les forêts semblent avoir dissimulé les forfaits les plus odieux. Dans cette quête commune de ce qui a pu se passer, seules les motivations des personnages diffèrent, si l’une va rechercher d’où elle vient, l’autre espère ainsi enterrer définitivement son terrible passé.

Dans cette Pologne rude et hivernale, la beauté des images est saisissante et ce d’autant que Pawel Pawlikowski a un sens aigu de la photographie et du cadrage (on se croirait dans des tableaux de Hopper filmés en noir et blanc).

Mais de la même manière que ce souci esthétique n’empêche jamais le film d’être empreint de vérité, la beauté ne sauve pas ici le monde, et ne nous préserve jamais des pires crimes. Au soutien de cette conviction, le réalisateur a au surplus la délicatesse de nous épargner tout effet démonstratif, tout pathos excessif et tout voyeurisme.

Terrible description que celle d’un pays qui ne sait que faire d’une histoire récente épouvantable et ce d’autant qu’elle reste tue. De fait, englués dans ce passé commun, tous ses habitants semblent plus ou moins fracassés, les victimes comme les bourreaux, et la génération qui les suit également, ignorante de presque tout ce qui a pu se passer, mais en portant bien malgré elle les stigmates.

Le film est ainsi empreint d’un profond pessimisme, on en vient à l’instar des personnages à se demander en quoi croire et à quoi bon vivre dans un monde où se déroulent des choses aussi atroces, questionnements éternels qui se heurtent à d’insondables réponses. Face au désastre humain, Pawlikowski ne nous laisse que l’évidence des notes de John Coltrane et la beauté des femmes aux cheveux enfin défaits.

Sébastien Bourdon

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