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« Les Bruits de Recife » de Kleber Mendonça Filho (2012)
mercredi 28 mai 2025, par
Sound of White Noise
Nous sommes à Recife, capitale de la région brésilienne du Pernambouc, cinquième agglomération du pays. Pour poser un décor en l’inscrivant dans son histoire, le générique en noir et blanc est fait de photographies banales des gens et de ces lieux, dans un temps plus reculé.
Puis le film commence par des jeux d’enfants au sein d’une ville devenue autrement plus dense, à l’architecture chaotique. Le réalisateur semble tirer plaisir à se faufiler de ruelles en cours et couloirs, grilles, doubles portes, pour arriver chez les occupants des appartements.
La pellicule comme délavée joue ainsi de plans inventifs et mobiles, utilisant la complexité des espaces, sans jamais donner une impression d’artifice. L’impression de réel est tenace, entretenue par l’absence de musique, remplacée par un travail très minutieux du son.
Dans ce dédale urbain foutraque, la ville contemporaine masque mal les inégalités, la survivance de rapports féodaux devenus lutte des classes larvée. Sous l’uniformité désordonnée du béton persistent des rapports de maîtres et serviteurs, quand bien même puisse exister une affection réciproque.
Tout le monde a peur, les possédants les premiers. La paranoïa est générale, et si aucune violence n’est montrée frontalement, le chaos étouffé de la ville semble la rendre toujours possible, chacun y contribuant à sa manière : tenter d’endormir le chien du voisin, frapper un enfant, agresser sa voisine, faire des dérapages automobiles mal contrôlés dans la nuit en apparence paisible.
La menace fantôme se glisse jusque sous les draps des personnages, dans des cauchemars de surgissement du sang ou d’invasion du territoire privé.
Le désir aussi agite les êtres, il possède une belle urgence sensuelle, un appel vital et fragile qui vient contrecarrer l’atmosphère mortifère des lieux.
La ville a mangé la plage et la jungle. Les maisons ont effacé la nature, qui a pourtant un peu résisté, ne serait-ce que parce que les constructions qui l’ont remplacée ne sont pas moins anarchiques. Ce quartier résidentiel est maintenant menacé par la pression foncière, on voudrait faire à nouveau table rase au profit d’immeubles plus lucratifs.
Comme ce chien qui ne cesse de geindre ou d’aboyer, quelque chose à Recife semble toujours au bord du déséquilibre.
Sont convoqués au Brésil Antonioni et Carpenter pour un premier film parfaitement maîtrisé et abouti, annonciateur d’une carrière à la hauteur des promesses de cinéma ici faites.
Sébastien Bourdon