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« Les Linceuls » de David Cronenberg

samedi 31 mai 2025, par Sébastien Bourdon

L’amour à Mort

Il est des films dont il ne faut probablement point parler ex abrupto en sortant de la salle. De celui-ci, on pourrait trop vite dire qu’il était aussi abscons qu’emmerdant.

Et puis, les choses mûrissent et grandit en vous quelque chose d’intrigant : ce qui vous a rebuté presque tout du long de la projection, prend une toute autre place, et si vous avez quitté la salle à l’issue de la projection, le film est en réalité entré en vous.

Karsh (Vincent Cassel) est un riche entrepreneur que la mort de sa femme Becca (Diane Kruger) a laissé irrémédiablement désemparé. Pour faire un deuil impossible, il a eu l’idée, un rien glauque, que de créer un cimetière connecté (les tombes ressemblent d’ailleurs à des smartphones alignés). Les défunts, habillés d’un suaire électronique, peuvent être regardés ad nauseam, comme si on les appelait en visio pour assister à leur inexorable décomposition silencieuse.

Alors qu’il déjeune avec un crush potentiel, Karsh l’interroge sur la profondeur d’obscurité qu’elle est capable d’atteindre, résumant bien son personnage.

Une nuit, le cimetière est vandalisé, et il va chercher à comprendre ce qui a pu amener à une telle volonté de sabotage de son grand œuvre.

Si l’on doit d’abord parler du scénario, n’escomptez pas comprendre les enjeux de ce complot international emberlificoté et imbitable, là n’est pas le sujet, et il eut peut-être été judicieux pour le cinéaste de ne pas s’y égarer si longuement.

Mais qu’importe, c’est la mécanique des sentiments à l’œuvre qui compte, d’autant que le cinéaste fait ici le deuil de sa propre femme (le mimétisme physique de l’acteur Cassel avec le réalisateur Cronenberg est d’ailleurs frappant).

De tous temps, l’amoureux est un obsessionnel du corps de l’autre, et il y a une douleur physique à en être privé. Frappée par un cancer agressif, Becca a d’abord été diminuée de parties de son corps, avant de disparaître complètement. Elle réapparaît en songe au protagoniste, son corps magnifique progressivement amputé et couturé (pas de doutes, on est chez Cronenberg), mais encore désirant et désirable.

On a rarement filmé à un tel degré d’intensité l’imbrication du sentiment et du désir, jusqu’à la gêne et l’effroi. Cronenberg diffuse à l’image un érotisme puissant, si sombre soit Karsh, le désir ne meurt pas.

Qui sont les fantômes, qui est mort, qui est vivant ? La question n’est jamais résolue, surtout dans un monde où l’on peut continuer à faire apparaître les morts sur son téléphone. Tentative de réconfort morbide s’il en est.

Bavard et étiré, souvent glaçant, le film se perd parfois en lui-même et nous avec, mais il ne nous laisse pas tranquille pour autant, et résonne même étrangement et durablement.

Sébastien Bourdon

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