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Le navire de la mort avait un nouveau capitaine

« Nosferatu » (F. W. Murnau) & Zone Libre - ciné-concert 7 octobre 2009

jeudi 8 octobre 2009, par Sébastien Bourdon

Dans notre bonne ville de Saint-Ouen, on ne fait pas que jeter ses ordures dans la rue ou s’entretuer pour le contrôle du marché de la drogue, on a aussi une très belle politique culturelle. Et c’est ainsi que nous avons pu nous offrir à l’espace 1789 (4 euros la place !) le guitariste de Noir Désir, Serge Teyssot-Gay (on peut prononcer « Gué » si on est du Sud-ouest), avec ses deux acolytes de Zone Libre (deuxième guitare, batterie) jouant un free-rock du meilleur ton sur le - à juste titre ainsi qualifié - chef d’œuvre expressionniste allemand, Nosferatu de Friedrich W. Murnau (1922).

Si nous sommes arrivés à temps pour ne rien rater du programme principal, nous avons manqué l’essentiel de la première partie (Pillars of fire d’un vidéaste audonien), pour cause de distribution de légumes à l’AMAP. Le mercredi chez nous, c’est en principe agriculture.

Ce n’est pas ma première expérience de cinéma avec un groupe qui joue en même temps et l’on peut dire, même si les instruments sont modernes, que ce retour aux fondamentaux du cinéma est particulièrement heureux et permet d’y trouver toute la magie des débuts du cinématographe. La force de l’image, la puissance du son, si on devait résumer. Mon meilleur souvenir de ce genre fut les Melvins (avec Trevor Dunn !) jouant à Beaubourg sur les films expérimentaux de Jamie Cameron. La partie du public constituée de quelques lecteurs de Tecknikart (en collant vert et franges pour les filles) avait fui assez rapidement, nous laissant entre sauvages réjouis.

Revenons au film qui nous occupe, Nosferatu. Seul son rythme a éventuellement un peu vieilli. Je l’avais déjà vu, dans mon canapé en dvd, et avait été estomaqué par la puissance d’évocation de certaines images. C’est assez impressionnant s’agissant d’un film qui date des balbutiements du cinéma et qui avait été réalisé avec peu de moyens. Les sensations - ambiance oppressante, claustrophobie - sont créées de manière assez rudimentaire, par une simple teinte de la pellicule, par l’accélération des images, on est assez loin des effets numériques.

C’est d’autant plus intéressant de le voir aujourd’hui que nous sommes définitivement des spectateurs qui, même s’ils n’ont pas forcément de goût pour le fantastique, ont bouffé du vampire sous toutes ses formes cinématographiques (de Browning à Polanski, de Neil Jordan à Carpenter... sans oublier naturellement le chef d’œuvre du 7ème art, Les Charlots contre Dracula). Nous n’avons donc pas un regard neuf, mais le visionnage de ce film mille fois recyclé permet de constater qu’il n’a pourtant perdu ni force ni intensité.

Et c’est là que le boulot de Zone Libre devient intéressant, comment faire de la musique pour accompagner l’image, sans la trahir, sans l’envahir totalement ou, a contrario, se révéler superfétatoire. Le groupe a été la hauteur : pas de concession, peu de musique évidente, et un gros travail sur les ambiances.

Il était ainsi difficile de ne pas se sentir totalement immergé dans l’atmosphère glaçante du film. A certains moments, j’ai quand même eu de vrais frissons, de ceux qui justifient toujours de sortir de chez soi pour aller dans une salle de concert. La montée au château du vampire du jeune héros et surtout la scène finale, furent emballées dans des rythmes hypnotiques et bruitistes parfaitement enthousiasmants.

Certes, certains actes (Nosferatu est une tragédie en 5 actes) se sont révélés plus difficiles à porter musicalement et mes voisines ont un peu piqué du nez. Mais à la limite pourquoi pas, l’ensemble convenait tout à fait à la rêverie romantique et violente.

Grand film qui nonobstant l’aspect un peu grotesque du vampire ou les trucages grossiers, révèle une vision sombre et oppressante du monde. Lorsque le bateau qui transporte Nosferatu s’approche de la ville de Wisnau, son dévot local, Knock, entre en transe et fiévreusement psalmodie « Der Meister... Der Meister... » (« le Maître, le Maître »). J’y ai vu comme un écho au « the horror, the horror » de Kurtz dans Heart of darkness de Conrad (cf. Marlon Brando dans Apocalypse now de Coppola qui réalisa lui-même un remake de... Nosferatu).

Sébastien

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