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L’infiniment grand, l’infiniment petit

mardi 27 mars 2012, par Sébastien Bourdon

Le critique est un spectateur comme les autres, mais qui essaie de décrire le lien personnel qui existe entre lui et un film. J’ai entendu ça l’autre jour, ça m’a bien plu. Ça m’a également rappelé que pour cause de récente augmentation de la population globale à mon domicile, je manquais de temps pour voir des choses culturelles et en parler.

Toutefois, grâce aux vacances scolaires et à mon cinéma de proximité, j’ai quand même réussi à voir avec les enfants un film qui me fascinait depuis longtemps : « L’homme qui rétrécissait », de Jack Arnold (1957). Film souvent évoqué dans les revues spécialisées, aux images archi connues, mais pas si aisé à voir dans une salle obscure. Sorte de pierre angulaire du cinéma fantastique, il décrit les vicissitudes d’un homme qui rétrécit (le titre n’est pas trompeur, c’est le moins qu’on puisse dire) à la suite d‘une rencontre en pleine mer avec un nuage radioactif (superbe plan de l’homme, de dos sur son bateau, regardant cette masse nuageuse qui s’avance inéluctablement vers lui). Si sur l’aspect visuel, le film est à la hauteur de sa réputation, ça n’en fait quand même pas une œuvre plus palpitante que cela et le final tout en délire mystique n’arrange rien. Restent une attaque de chat contre le héros réfugié dans la maison de poupées ou une bataille sanglante contre une araignée pour secouer les foules, et force est de constater que, près de soixante ans plus tard, cela fonctionne encore.

Pour rester dans le fantastique, après avoir vu l’intégrale de la série télé « Walking Dead » (se mange sans faim), je me suis replongé dans les origines du genre en revoyant « Zombie » de Georges Romero (1978), le deuxième opus de la célèbre trilogie des morts-vivants. Si la version télévisée récente sus-évoquée (adaptée de la BD du même nom) se range idéologiquement du côté républicain (ma femme, mon fils, mon flingue et on va tuer tous les affreux), le film de Romero est ancré dans une réflexion sociétale bien plus passionnante. Ainsi, l’errance sans fin des hommes devenus zombies dans le centre commercial aux mille boutiques, vue comme l’ultime destin du consommateur occidental moderne.

Dans les projections récentes, est également vivement recommandée un bon vieux western, comme on savait en programmer à « la dernière séance » de Monsieur Eddy : « L’homme sans Etoile » de King Vidor (1955), avec l’immense Kirk Douglas. A le regarder évoluer sur l’écran, on réalise que c’est quand même par lui que tout est arrivé, qu’un acteur américain a enfin pu être débraillé, décoiffé et à même d’exprimer de violents paradoxes sentimentaux et émotionnels. Ainsi, il incarne un cowboy (au sens propre, un garçon vacher donc) qui maîtrise parfaitement son corps comme son arme mais qui est surtout animé par un profond dégoût de la violence. A un moment, dans un geste de colère surprise, il dégaine brusquement son arme et peu d’acteurs me semblent alors capable d’exprimer si vite et si pleinement une pulsion irrépressible de violence et le dégoût d’en avoir été ainsi habité. Dans ce geste s’annonce une nouvelle génération d’acteurs américains et une nouvelle façon de jouer, plus juste et plus intense (Brando, Dean et autre Cassavetes).

« Les Cavaliers » de John Ford (1959), film de commande et de fin de carrière d’un des réalisateurs les plus emblématiques du cinéma américain. Las, Ford est certainement déjà en voie d’être déjà oublié, souffrant sans doute d’une image un peu vieillotte et réactionnaire. Il n’en est rien, ce film trahit justement surtout l’humanisme désabusé du réalisateur. Son double à l’écran, un John Wayne ici particulièrement subtil, incarne un colonel nordiste, dégoûté par la violence et que l’on verra plus souvent refuser de tirer que charger sabre au clair. A l’image de celui qui les commande, la troupe souffre mais ne rompt pas, traversant une Amérique déchirée par une guerre fratricide et absurde.

Le film est presque documentaire, relevant même du road-movie, puisqu’il raconte une incursion – authentique – de troupes nordistes en territoire confédéré. L’ensemble, évitant les moments de bravoure attendus, est admirablement filmé, avec comme toujours, ce sens incroyable du plan où s’équilibrent mise en scène et photographie, imposant une admiration quasi béate du spectateur (enfin, de votre serviteur certainement).

En sus du John Wayne précité, s’illustrent également deux autres interprètes exceptionnels, le génial William Holden en médecin militaire qui s’acharne à sauver des vies bêtement massacrées, et la sublime Constance Towers en riche propriétaire sudiste, embarquée malgré elle dans la cavalcade des hommes en bleu. S’agissant de cette dernière, je me permets de vous indiquer que si vous n’avez jamais vu « The Naked Kiss » de Samuel Fuller (1964) et bien, vous n’avez tout simplement rien vu.

Ensuite, sur recommandation d’une amie et lectrice (et vice-versa), dans une maison où ce film existait même en double exemplaire, je me suis projeté « Cinq Pièces Faciles » de Bob Rafelson (1970). Je ne dévoilerai point trop l’histoire car même si on est plutôt dans un registre intimiste, le personnage se révèle progressivement et il serait regrettable de trop en dire. Le film saute les barrières culturelles, décrivant des populations variées, entre souci de véracité et échappées poétiques. Jack Nicholson est impeccable, le film ayant été tourné bien avant « Shining », il n’a besoin ni de rouler des yeux, ni de baver, bref, il s’abstient de cabotiner et incarne parfaitement un homme dont on découvre peu à peu les fêlures.

Et puis surtout, le cinéma américain, celui du « nouvel Hollywood » est ici en devenir et on sent dans l’histoire, comme dans le jeu et la manière de filmer, combien la décennie sera passionnante et transformera définitivement le langage cinématographique.

Sébastien

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