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"J. Edgar" de Clint Eastwood

mardi 31 janvier 2012, par Sébastien Bourdon

I don’t like to dance

J. Edgar Hoover, l’homme qui a inventé et dirigé le FBI pendant 48 ans, rêvait de pouvoir ficher tous les citoyens américains comme les livres d’une bibliothèque et ce afin de pouvoir distinguer les gentils des méchants (les communistes donc). Claude Guéant, sur France Inter il y a quelques jours, disait se réjouir du travail « merveilleux » de la DCRI. Du fichage au conte, il n’y aurait qu’un pas ?

La paranoïa américaine n’est toutefois pas le sujet sur lequel se focalise le plus Eastwood dans son dernier film. Bien entendu, le regard porté sur les obsessions et angoisses américaines entre l’aube de la deuxième guerre mondiale et la Guerre froide permet de constater que ce beau pays n’a pas tant changé et a eu tôt fait, le mur de Berlin tombé, de se découvrir d’autres ennemis pour entretenir son souci obsessionnel de sécurité. Hoover est obsédé par la protection de son pays de toutes les menaces possibles, fantasmées ou réelles (la pègre) et se donne tous les moyens nécessaires pour ce combat. C’est ainsi qu’il disposera systématiquement de dossiers compromettants sur tous les hommes de pouvoir, afin de lui permettre de rester d’être inamovible à son poste pendant près de 50 ans.

Le film ne néglige donc pas ces aspects historiques et Eastwood en profite pour regarder à nouveau en face ses habituelles obsessions. Ainsi, la peine de mort, nul besoin d’être grand clerc pour une fois de plus constater le dégoût profond qu’elle lui inspire. On lui a souvent reproché une relative complaisance vis-à-vis de la violence, ce ne fut en réalité jamais le cas, et l’âge venant, la manière de la filmer est devenue encore plus âpre et sèche. Moment fugace et définitif, l’agression s’interrompt aussi vite qu’elle ne commence, ne laissant qu’un peu de poussière et d’autres désastres à venir. Celle qui insupporte le plus Eastwood est celle faite aux enfants, l’affaire de l’enlèvement du fils de Charles Lindbergh est ici particulièrement glaçante.

Ces aspects du film ne sont pas les plus surprenants, on y retrouve l’habituelle aisance du maître, sa fluidité dans la narration et sa capacité de montrer beaucoup avec une relative économie. Mais en réalité, il s’agit d’une étude de caractères, ce qui nous est surtout raconté, c’est une histoire d’amour et entre deux hommes, celle qui a uni toutes ces années Edgar J. Hoover avec son bras droit, Clyde Tolson (Brokeback Mountain au FBI ?). Faisant fi de tous les doutes et supputations éventuelles sur la vie sentimentale de son héros, Eastwood le présente comme un homme profondément amoureux d’un autre, mais incapable d’assumer une telle affection. Si Tolson ne s’y refuserait pas, Hoover ne le peut pas, écrasé par une figure maternelle pour qui un fils homosexuel serait pire qu’un fils mort.

L’intensité de ce désir amoureux qui devient le moteur d’une vie malgré tout passée ensemble est filmée de manière admirable. C’est ainsi qu’une fois encore Eastwood filme ici la violence, mais cette fois celle des sentiments. On a beau savoir que Clint ne se refuse pas à grand chose en termes d’envies de réalisation, il faut bien reconnaître que l’on n’attendait pas forcément l’inspecteur Harry sur ce terrain là.

Il est aidé dans cette tâche relativement ardue par un DiCaprio qui révèle ici tout son talent (impossible ici de douter encore des capacités de celui que l’on a présenté longtemps comme un "poster boy", moi le premier). Sauf erreur, il a fait le film pour une bouchée de pain, Eastwood n’ayant pas les moyens de lui verser son salaire habituel, et il est donc ici uniquement motivé par un intense appétit de jouer. Fascinant de maîtrise de bout en bout, il porte le film en incarnant admirablement toutes les facettes de la personnalité complexe de Hoover. Il arrive même à être totalement crédible recouvert de postiches pour le faire ressembler à vieillard usé et malade. Il est au plus fort bien entouré, de Judi Dench à Naomi Watts en passant par Armie Hammer (repéré dans The Social Network de Fincher où il jouait... des jumeaux).

Eastwood, depuis quelques temps, devant ou derrière la caméra, cultive une dernière obsession bien légitime - à 83 printemps - celle du vieillissement. Et comment ne pas voir une projection de lui-même dans ce personnage qui refuse de lâcher la rampe, nonobstant les ravages du temps. Eastwood travaille depuis quarante ans avec la Warner et, nonobstant la valse incessante des dirigeants du studio, il continue à réaliser un – bon - film par an.

Eastwood est peut-être vieux, mais il est sacrément vivant.

Sébastien Bourdon

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