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Every fool has his reasons

« La Chevauchée des Bannis » ("Day of the Outlaw") de André de Toth (1959)

mardi 11 décembre 2012, par Sébastien Bourdon

Aller au cinéma est toujours un plaisir, mais s’y rendre pour revoir sur grand écran un film aimé relève de la gourmandise absolue. En effet, grâce au formidable travail de réédition réalisé par Wild Side, j’avais découvert il y a peu ce chef d’œuvre sur le poste familial. On n’oublie d’ailleurs pas que c’est bientôt Noël et que ce coffret livre/DVD sera du meilleur effet sous le sapin.

Il s’agit donc d’un western, mais traité comme un film noir, tourné en noir et blanc, dans un paysage blanc de neige. Si l’on croit que la violence sèche et l’absence de lyrisme dans les films de cowboys est arrivée avec Peckinpah ou Léone, on se trompe, André de Toth avait déjà cessé faire de ce type de films des épopées héroïques exaltant la conquête de l’Ouest par de gentils colons. Dans un minuscule village isolé en montagne, un éleveur (Robert Ryan), pourtant en conflit avec les autres villageois sur une problématique assez classique de « barbelés sur la prairie »*, tente de trouver un stratagème sacrificiel pour sauver la petite communauté des griffes d’une bande de hors-la-loi brutaux (et obsédés sexuels) soudainement apparus de la brume.

Pour André de Toth, cinéaste hongrois (Endre von Toth) ayant fui les nazis par un exil hollywoodien, la vie n’est pas une belle trajectoire, mais une succession de lignes brisées, où l’homme fait surtout ce qu’il peut pour survivre avant la dernière chute. Rien n’est jamais facile, vous pouvez enfin tenir votre ennemi en joue et ne pouvoir tirer, réalisant que vous avez les doigts gelés. Dans le film dont il est ici l’objet, jusqu’au dernier moment, le spectateur est incapable de savoir qui s’en tirera dans ce monde vraiment sans pitié (mais beau).

Comme évoqué, l’action prend place dans un paysage blanc et désolé. De Toth a tenu à tourner son film de la manière la plus réaliste possible. Ainsi, pour rendre palpable cette réalité climatique, il avait fait installer les décors avant la saison froide afin que ces derniers soient marqués par les évolutions climatiques. De la même manière, certaines scènes d’intérieur auraient été tournées sur places, en ces lieux forcément mal chauffés et aux aménagements sommaires. Pas de pitié pour les acteurs. Lorsqu’il y eut des réclamations, de Toth passa la journée en débardeur, montrant qu’il n’entendait pas s’en laisser compter sur son souci de réalisme.

On ne m’ôtera pas que le film tire ainsi de son tournage une véracité et une intégrité qui ne peuvent échapper aux spectateurs. On ne tourne plus de film d’actions de cette manière à Hollywood, point besoin de grands espaces ou de figurants, les effets numériques suffisent. Cela peut avoir un intérêt, mais la méthode ancienne conserve charme et efficacité. Le dernier à avoir voulu tourner ainsi est John Mc Tiernan avec le somptueux Le Treizième Guerrier (1999). Il a embarqué toute son équipe, les acteurs et les – nombreux – figurants au fin fond du Canada, dans la pluie et la neige, dans la boue et le froid pendant des semaines. Ainsi la réalité du terrain s’incarne dans le film et ses interprètes, donnant une assise crédible à un film de pure fiction.

La chevauchée dont il est ici question est donc dure et cruelle, et l’errance dans la neige de nos protagonistes n’est pas sans évoquer ces contes où l’on abandonne des enfants à une nature impitoyable. Peu de place pour les grands sentiments, il s’agit surtout de survivre (quoique le sentiment amoureux serve de fil conducteur au film, avec ses conséquences tragiques, mais aussi par l’espoir qu’il incarne). La violence est donc toujours latente, immanente, mais son surgissement n’a rien d’automatique, et son cours attendu prend souvent un tour imprévu. Enfin, une part d’humanité subsiste, incarnée notamment par Robert Ryan, car même si les héros sont bien désabusés, ils se refusent à l’abandon, pour finalement relever la tête.

A l’instar du remarquable Robert Ryan, tout le monde joue juste. Burl Ives incarne un étrange et fascinant chef de soudards, intelligent et fin, qui n’est devenu une brute que parce que « à West Point, on m’a appris à être un militaire, ce qui laisse peu de temps pour devenir humain ». Tina Louise, embauchée pour être l’argument sexy du film et vendue comme telle sur les affiches, ne montre en réalité rien ou pas grand-chose de son somptueux décolleté, mais en même temps, il fait un froid de canard. De Toth ayant eu la bonne idée de ne pas la prévenir de grand-chose, à l’instar du spectateur, elle est donc invariablement réellement surprise par ce qui se passe et du coup parfaite.

J’aimerai pouvoir faire le malin et vous dire que j’ai tout vu d’André de Toth, las, c’est loin d’être le cas. Mais il me reste un peu de temps pour me rattraper (et à vous aussi).

Sébastien

*Des barbelés sur la prairie (Morris-Goscinny - 1967), 43ème album de Lucky Luke narrant les aventures drolatiques de notre cowboy solitaire pris au sein d’un conflit entre éleveurs et fermiers. Thème classique de western que l’on retrouve par exemple aussi dans L’homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor (1955). On peut ramener cela à une problématique de gestion de l’espace et de la propriété, qui surgit même lorsqu’il y a, justement, beaucoup de place.

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