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« Un Autre Monde » de Stéphane Brizé

vendredi 25 février 2022, par Sébastien Bourdon

Marché de Dupes

Au regard du nombre de ressemblances potentielles avec des personnages ou des situations existantes ou ayant existé, le film est sans cesse sur la corde raide de sa vraisemblance, et elle est sensible. La prouesse est qu’il parvient à ne jamais cesser d’être juste.

L’ouverture du film nous montre le couple (Sandrine Kiberlain - Vincent Lindon) en instance de divorce, pour un face-à-face nécessairement douloureux entre clients et avocats, où l’amour et les sentiments sont ramenés à un insupportable décompte d’apothicaire. Champs de ruines où l’on imagine pouvoir panser les blessures et combler les manques par compensations pécuniaires.

Voilà pour l’intime, mais il faudrait y ajouter les difficultés psychiques d’un fils, comme frappé à la place du père d’un burn-out, le faisant médicalement interner.

Il y a ensuite le monde du travail, coeur des dernières observations cinématographiques de Stéphane Brizé. On s’intéresse ici au presque haut de l’échelle, au patron, mais qui n’est en fait rien d’autre qu’un cadre dirigeant. D’ailleurs, à tous les niveaux de ce monde, personne ne semble avoir de réelle autorité, le marché, anonyme par essence, décide de tout, tranche, et surtout les têtes.

Mais Lemesle est un bon patron, à l’ancienne. Il a la confiance de ses troupes, même si diriger est intrinsèquement une position intenable qui oblige invariablement, un jour où l’autre, à trahir. Travailleur acharné, il y a fracassé sa famille, et c’est un autre sacrifice qui lui est encore demandé par le Groupe qui l’emploie : dégraisser une nouvelle fois pour satisfaire l’avidité des actionnaires (le film évite assez adroitement la caricature, notamment grâce à une extraordinaire Marie Drucker).

Et tout cela fait peut-être un peu trop pour la carcasse solide, mais fatiguée de cet homme. On le regarde et on se demande comment un corps et une âme peuvent tenir devant tant de choses douloureuses et moralement inacceptables au même moment. Ce que fait cette société à ceux qui y vivent, même aux premiers de cordée, est ici implacablement montré et il faut l’immense talent de Vincent Lindon pour le faire tenir à l’image.

Le couple à l’écran (qui le fut d’ailleurs à la ville) incarne ainsi avec perfection une forme d’usure physique et mentale qui frappe nos semblables dans les sociétés occidentalisées. Le « travailler plus pour gagner plus » massacre tout le monde sans discernement, et ce n’était pas une faute de goût de Stéphane Brizé, loin de là, que de le rappeler dans ce très beau film.

Comme l’a brillamment résumé Vincent Lindon récemment sur France Culture, « tout est amour et tout est politique ».

Sébastien Bourdon

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