Accueil > Francais > Cinéma > « Nocturne Indien » de Alain Corneau (1989)

« Nocturne Indien » de Alain Corneau (1989)

dimanche 13 juin 2021, par Sébastien Bourdon

Terra Incognita

Alain Corneau est devenu d’abord célèbre pour et par ses films noirs, parmi les plus réussis de l’histoire du cinéma hexagonal : « Police Python 357 » - 1976) et surtout le magistral « Le Choix des Armes », déjà chroniqué sur ces lignes : https://www.soundsmag.org/Le-Choix-des-Armes-d-Alain-Corneau-1981).

Mais ce surdoué de la mise en scène (de l’adaptation d’Amélie Nothomb (« Stupeur et Tremblements » - 2003) au film d’aventure à grand spectacle (« Fort Saganne » - 1984), en passant par l’évocation intimiste de la musique baroque (« Tous les Matins du Monde » - 1991)) se rapprocherait plutôt de ces grands faiseurs ayant accédé au statut mérité d’auteur, comme Hollywood en produisit quelques-uns (Richard Fleischer notamment).

Ce que l’on retient surtout de ses films multiformes, c’est un appétit et un enthousiasme pour un sujet, quel qu’il soit. Corneau avait la soif de filmer ses visions et passions, ces dernières naissant le plus souvent d’autres œuvres, qu’elles soient géographiques, musicales ou littéraires.

Alain Corneau rêvait ainsi de filmer l’Inde pour laquelle il avait une affection particulière, mais se sentait écrasé par la potentielle immensité de la tâche. C’est finalement le romancier italien Antonio Tabucchi qui lui a fourni le matériau rêvé, un livre, pour réaliser un film qui ressemble à un songe.

Il s’agissait d’abord de ne pas faire folklore, mais de faire corps avec les lieux, comme avec ceux qui les habitent. Alain Corneau ne se présente pas en ce pays immense en territoire conquis. La modestie et le questionnement non résolu sont de tous les plans. Le réalisateur semble avoir fait sienne cette maxime : ce ne sont pas 200 ans d’occupation anglaise qui vont bouleverser cinq mille ans d’histoire. Et ce n’est pas non plus un cinéaste français qui va être capable de s’approprier un continent et sa mystique.

C’est ainsi que la musique de Schubert (le 2e mouvement du Quintette en Ut) ne trahit pas l’Inde et que Corneau comme Tabucchi traversent le pays avec une même sidération occidentale, aussi respectueuse qu’hallucinée.

Rossignol (Jean-Hugues Anglade), est à la recherche d’un ami disparu, un certain Xavier, et entreprend de le retrouver dans un territoire où tout lui échappe (nonobstant sa culture et le fait qu’il soit polyglotte). Il pourrait évoquer ainsi, c’est selon, un personnage en quête d’auteur, ou un écrivain à la recherche d’un protagoniste toujours fuyant.

S’ensuit un road-movie aux péripéties énigmatiques, où rien ne se dénoue vraiment et où le personnage principal semble épuisé et perdu. Sa quête, si elle apparait comme celle d’un autre, est peut-être d’abord celle de lui-même en des lieux inconnus et sans cesse déroutants. Qu’importe la destination, seul compte le voyage.

La réussite esthétique et intellectuelle continue du film atteint une forme de pic en son cœur, dans une scène de rêve éveillé. Corneau ne savait comment filmer la frénésie indienne, et avait pensé pour ce faire à la gare de Bombay aux heures de pointe. La foule délirante agglutinée sur les quais a vite semblé impossible à mettre sur pellicule et il a fallu renoncer. Et le cinéaste humaniste qu’il était a alors eu l’idée d’en filmer l’envers, l’attente avant l’explosion : les gens qui dorment à même le sol de la gare, pour être certains de ne point manquer le train du matin. Subrepticement et à la nuit tombée, les caméras ont ainsi immortalisé l’acteur français, marchant hagard entre les corps avachis, tel un somnambule parmi les dormeurs. Avec une fois de plus la musique de Schubert, cela donne une scène d’une beauté éternelle, à l’image d’un film à la poésie et à la richesse infinies.

Sébastien Bourdon

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.