« Ma Nuit chez Maud » d’Eric Rohmer (1969)

Pour peu qu’on en ait vu quelques uns, on oublie que Rohmer a aussi fait tourner à ses débuts de vrais professionnels et non des plus ou moins amateurs maniérés (Arielle Dombasle !). Et cela ne dénature nullement son cinéma. Cette nuit clermontoise fait ainsi se croiser Françoise Fabian, Marie-Christine Barraut et Jean-Louis Trintignant, acteurs indiscutablement chevronnés.

C’est l’hiver 1969, et s’il est glacial, il n’empêche pas de sortir et de se frayer un peu aux autres. Jean-Louis, ingénieur jusqu’alors globe-trotter, revient crécher à Clermont-Ferrand pour Noël. Il y croise un vieil ami nommé Vidal (Antoine Vitez), qui dans une manœuvre toute rhomérienne l’emmène chez une ex (Maud - Francoise Fabian) en y introduisant toute l’ambiguïté nécessaire à un trouble inévitable.

On philosophe beaucoup en cette fin des années soixante, faisant se confronter catholicisme, marxisme et Blaise Pascal, mais la vérité, et si on n’est guère adroit à la révéler, c’est qu’on s’attraperait bien sous la couette (aussi).

Les femmes, aussi indécises qu’elles soient, déclarent aimer les hommes qui savent ce qu’ils veulent. Mais à la fin, pour tout le monde, puisque l’amour physique est sans issue, il reste le mariage bourgeois et les regrets.

Et qui de mieux que Jean-Louis Trintignant pour incarner cette mélancolie ? Paraissant calculateur puis tristement perdu, ses choix sentimentaux dont on imagine qu’il veut les maîtriser ont des revers amers.

Trintignant, ici, comme dans tant d’autres films, aura été le comédien le plus à même d’incarner une forme aboutie de présence et d’effacement. Toujours comme absent à lui-même, sensation accentuée par sa voix métallique, il n’en brûle pas moins l’écran. Maud lui trouve les lèvres froides dans un paysage de neige, et pourtant quelle présence unique, inoubliable et obsédante.

Sébastien Bourdon