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Le Cri

"Blow Out" de Brian De Palma

dimanche 22 janvier 2017, par Sébastien Bourdon

«  Blow Out » de Brian De Palma (1981)

Trente-cinq années plus tard, l’effet de surprise est passé, et rares sont les spectateurs qui ne comprennent pas que l’ouverture, en forme de film d’horreur un peu calamiteux et très librement inspiré du « Halloween » de Carpenter, n’est rien d’autre qu’une première mise en abyme, un film dans le film.

L’actrice qui s’apprête à être ici massacrée sous la douche (l’évident bonjour au « Psychose » d’Alfred) a de très jolis seins mais un hurlement calamiteux. La fiction bâclée ne parvient pas ici à se colleter avec l’effroi du réel.

Cette distance qui interdit l’identification du spectateur à ce qui se passe sur l’écran, Jack Terry (John Travolta) en a si bien conscience derrière son sourire qu’il passe ses nuits à capter des sons qu’il pourra greffer ensuite au celluloïd des films sur lesquels il travaille. Nous le retrouvons donc dans une des plus belles scènes de l’histoire du cinéma, sur un pont, en train d’enregistrer les bruits de la nuit. Son micro à la main, il semble mettre en scène les effets sonores qui surgissent, dans une atmosphère qui rappelle la féérie cruelle du film de Charles Laughton (« La Nuit du Chasseur »).

En enregistrant les sons, il leur donne vie, comme par magie.

Tout à coup, un véhicule surgit, un coup de feu sans doute, et c’est la chute dans l’eau glacée. Jack sauvera la gracieuse passagère (Nancy Allen), mais ne pourra que constater le décès du conducteur, candidat à la Primaire Démocrate.

Il va de soi que l’on se serait épargné en haut lieu cette escapade mortelle et que l’on préférerait que cette mort soit enfouie dans les poubelles sordides de l’histoire, par une habile transformation en un banal accident.

Notre ingénieur du son ne l’entend pas (forcément) ainsi et devient une menace à écarter, en bon héros américain refusant le travestissement de la réalité.

Pouvoir de l’image et du son, ce que l’on voit et entend, ou du moins ce que l’on croit avoir vu et entendu. Car ici tout est illusion ou presque, et il faut démêler un terrible écheveau pour tenter d’approcher une réalité qui, toujours, s’échappe.

Le réel, si glissant soit-il, peut également être cruel aux protagonistes, et particulièrement à Jack Terry, sorte de petit génie bricoleur candide déjà cruellement marqué par une douloureuse expérience passée. Son cerveau est aiguisé aux technologies pures, mais est comme aveugle aux réalités du corps et de l’âme.

Il se découvre ainsi bien naïf quant à la nature de la femme dont il s’éprend après l’avoir sauvée, demi-mondaine aux activités plus ou moins crapuleuses pour arrondir ses fins de mois. Mais il ne cesse pas de l’aimer pour autant, le surgissement du réel ne le freinant nullement dans son affection.

Nancy Allen est ici, et comme toujours d’un érotisme torride, donnant l’impression que ses vêtements ne résisteront pas à l’incandescence de sa sensualité. Au diapason de son amant timide, elle conservera pourtant une pudeur inattendue et inhabituelle.

Evidemment, avoir découvert la vérité ne vous aide pas à triompher dans un monde si attaché aux faux-semblants, et le film ne prendra jamais les formes d’un blockbuster avec fin heureuse à la clé.

Comprenant au son qui lui parvient que c’est la mort qui se présente, Terry entame une course désespérée dans les rues de Philadelphie. Séquence magnifique, où l’on ressent toute la peine du monde.

La perte de l’être aimé au nom d’une vérité que personne ne dévoilera, cruelle destinée. Ne restera qu’un hommage morbide au premier baiser de "La Main au Collet" d’Hitchcock, dans les flammes des feux d’artifice.

De Palma a une foi très relative dans le bonheur terrestre, la seule réalité qui vaille est que ça finit mal, ce qui n’est pas franchement rassérénant, autant conserver alors une pointe d’un cruel cynisme.

Sébastien

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