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La Marche du Progrès

"Wild River" d’Elia Kazan (1960)

jeudi 26 mars 2015, par Sébastien Bourdon

« Wild River » d’Elia Kazan (1960)

Passé le générique, le film s’ouvre sur des documents d’actualité, « entièrement d’époque ». Le Tennessee était dans les années 30 un fleuve aux crues mortelles, ce qui nous est brièvement, mais violemment montré, entre témoignages de survivants et vision de maisons s’effondrant dans les flots déchaînés.

Face à ces désastres récurrents, une Amérique volontaire, celle du New Deal de Roosevelt, opte pour la construction d’un barrage qui mettra fin à ces calamités et amènera par la même occasion aux habitants la Fée Electricité.

Un américain cultivé du nord-est, Chuck Glover (Montgomery Clift), arrive en ville, avec chevillée au corps la certitude qu’il saura convaincre la population locale de renoncer à leur terre pour le bien de tous, pour cette société nouvelle en train de naître. On l’imagine presque comme un Messie moderne prêchant la parole du divin Roosevelt au peuple : « Vous me connaissez ? Et vous savez d’où je suis ? Je ne suis pas venu de moi-même : mais il est véridique celui qui m’a envoyé, lui que vous ne connaissez pas. Moi, je le connais parce que je viens d’auprès de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. » Jn 7, 1-30

Le seul choix de Montgomery Clift pour incarner ce personnage est un indice fort de la fragilité de cet édifice idéologique. En effet, quel acteur pour mieux cacher sous cette élégance souriante une sourde inquiétude, voire une peur panique. Toute l’histoire du film est là, celle d’un protagoniste qui va rapidement se cogner violemment au principe de réalité, ses convictions pourtant bien ancrées lui étant alors d’un bien maigre recours.

Tous les riverains concernés par l’opération ont vendu leurs terres à l’Etat contre un relogement avant qu’elles ne soient recouvertes d’eau une fois le barrage achevé. En réalité, pas tous, l’irréductible Ella Garth (Jo Van Fleet), une vieille dame indigne, sorte de « zadiste » de l’époque, refuse de céder son île, bloquant quelque peu le projet. En effet, le gouvernement se refuse, pour des raisons évidentes d’image, à employer la force pour la déloger. Il va de soi que la situation est inextricable, personne n’ayant finalement raison ou tort, et tous s’inscrivant dans une logique cohérente, la leur.

Perdante magnifique, Ella Garth est une incarnation vivante de ces gens du Sud que le cinéaste contemporain Jeff Nichols décrit comme de nobles loosers dont il a envie de raconter les histoires (ce qu’il fait fort bien cf. « Mud » - 2013).

Pour pimenter un peu tout cela et déclencher plus encore la fureur des évènements en attendant celle du fleuve, il y aura la petite-fille de cette dame Garth, incarnée par une Lee Remick qui fascine d’abord par son regard bleu, puis par sa sensualité exprimée sans ambages. Le spectateur fond face à cette fille perdue du Sud sauvage, ce que ne manque pas de faire également le dénommé Chuck Glover. Pourtant déjà assez ébranlée, sa conviction d’agir dans le bon sens va alors être quelque peu tourneboulée par ce sentiment difficilement maîtrisable qu’on appelle l’amour.

Fil conducteur de sa filmographie, Elia Kazan filme une fois encore avec une acuité indiscutable les rapports entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas encore John Cassavetes, mais ici les femmes sont échevelées et n’ont nullement peur d’exprimer un désir brûlant, avec toute l’urgence nécessaire. A ce jeu là, l’actrice Lee Remick est impressionnante quand elle gémit des « don’t » qui veulent dire oui et à réclamer des « say you can’t get enough of me » particulièrement irrésistibles.

On ne révélera pas le dénouement de ces tourments aquatiques et émotionnels mais on rappellera simplement cette évidence : Elia Kazan avait une qualité première et indispensable, il savait réaliser de sacrés films.

Sébastien

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