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La Femme qui Ecrit (Vicky Krieps)

samedi 8 janvier 2022, par Sébastien Bourdon

C’est comme serveuse dans un Bed & Breakfast que l’on a vu pour la première fois apparaître Vicky Krieps à l’écran : l’air de ne pas y toucher, sourire énigmatique, une discrétion telle qu’elle prend toute la place, qu’elle fait présence immédiate (« Phantom Thread » de Paul Thomas Anderson - 2017).

La même actrice a récemment semblé plus encore déborder la simple interprétation de rôles. Elle s’est trouvée par deux fois en position d’intrinsèquement interroger le processus même de création, comme dans une mise en abîme où l’écriture physique d’un personnage remettrait sans cesse en question ce qui se passe à l’image.

Au sein même d’une fiction, la protagoniste s’échappe pour se choisir une autre réalité, jusqu’à nous donner l’impression d’un film se faisant réellement sous nos yeux, et dont les péripéties eussent même pu varier pour peu que l’on se présente à la séance suivante.

Ainsi de « Bergman Island » (Mia Hansen-Love) où la narration mise en place – un couple d’artistes en résidence à Fårö, l’île où vécut et travaillât le cinéaste suédois - est soudainement brusquement escamotée au profit d’une fiction écrite par le personnage principal (Vicky Krieps donc), au fur et à mesure qu’elle la raconte à son mari. On ne sait précisément si elle s’inspire alors de choses qu’elle a vécues, mais il est probable que la réalisatrice soit allée puiser en elle-même les péripéties de ce double degré de scenario (Mia Hansen-Love fut longtemps la compagne du réalisateur Olivier Assayas).

Le film bifurque pour ainsi accompagner ce mouvement de création en cours d’élaboration, quand en réalité, il est achevé, sans quoi il n’y aurait évidemment rien à voir à l’écran.

Si les questionnements réalité et fiction portent dans ce cas sur le sentiment amoureux et ses variations, le film de Mathieu Amalric – « Serre Moi Fort » - se penche sur une fuite par l’écriture, plus exactement par une réécriture d’un réel devenu trop insupportable pour être vécu comme tel.

Le spectateur peut se perdre dans les méandres du cerveau de la protagoniste, sans savoir ce qu’elle invente ou reconstitue, si nous sommes dans la rêverie ou dans son quotidien devenu atrocement cruel, sachant qu’en tout état de cause, nous sommes dans la fiction puisque dans une salle de cinéma.

Il n’y a qu’une scène où l’on voit Vicky Krieps physiquement écrire, à une table (cf. photo) : c’est au moment où elle attend la confirmation de l’horreur qui la frappe. Ce que sous-entendait ce film comme une énigmatique escapade éperdue dans le temps et dans l’espace, se révèle finalement sous nos yeux : elle tient réellement la plume, et ce qui se trouve sur la feuille est ce qui se voit à l’écran.

Il y a donc une explication, mais également une offre, une possibilité de création. La feuille nous est comme tendue, puisqu’il n’est en effet pas interdit au spectateur d’écrire lui-même le film, en effet par essence passif, il peut en faire sa propre lecture.

Dans ces deux films, l’actrice Vicky Krieps bouscule la narration, se l’approprie. Son visage est, il est vrai, comme une page blanche où tous les sentiments ont vocation à s’imprimer progressivement. Comme une feuille vierge sur laquelle on jetterait d’abord quelques idées, il semble d’abord prendre le temps de les intégrer pour les exprimer autrement, plus tard.

Visage faussement tranquille et sans cesse changeant, il vibre en soubassement des frémissements reçus du monde extérieur. Sa douleur et sa joie sont aussi discrètes en apparence que nécessairement bouillonnantes à l’intérieur. Elle a le visage de l’emploi en somme, énigmatique et profond, il lui faut ajouter de l’écrit aux images pour mieux les digérer.

Et c’est ainsi que Vicky Krieps, devant la caméra de deux réalisateurs différents, est apparue comme une possibilité d’écrire non seulement sur les films, mais également à l’intérieur même de ceux-ci.

Sébastien Bourdon

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