« L’homme aux Mille Visages » de Sonia Kronlund

C’est l’histoire d’un type qui durant des années aura berné des dizaines de femmes (voire plus, on n’a pas le décompte précis), sur plusieurs continents. Changeant d’identité, il leur a volé leurs sentiments et parfois un peu de leur argent ou de leurs biens - il faut bien un peu de liquidités pour inviter les futures victimes au restaurant.

Poussant la mythomanie à un degré rarement atteint, la trajectoire de ce garçon va percuter nombre de parcours sentimentaux, laissant défaites, dans un état de sidération, pas mal de victimes.

La journaliste Sonia Kronlund a trouvé dans cette histoire qui dépasse la fiction matière à émission de radio (France Culture, où elle exerce), livre et maintenant documentaire.

Adoptant un ton souriant, présente à l’écran, elle déroule cette histoire proprement fascinante en donnant la parole à celles qui l’ont croisé, encore souvent blessées et hallucinées de n’avoir rien vu.

Car pour l’homme aux mille visages, il ne s’agissait jamais de s’appuyer sur des commencements de vérité pour construire ses personnages : tout était faux, du métier aux origines géographiques et familiales. Et invariablement conquises, toutes ces femmes, pourtant loin d’être écervelées, gobaient la fable.

Comment ne pas s’interroger : quels besoins d’amour et de romance arrivait à utiliser ce sinistre type chez autrui pour si efficacement remplir le vide de lui-même ?

Comment ne pas penser non plus à des histoires criminelles fameuses où l’affabulation a fini par mener au meurtre (Romand ou Dupont de Ligonnès) ? Mais ici point de crime, on conserve le sourire tant cette parole féminine libérée - car humiliées, les femmes d’ordinaire se taisent - est le plus souvent joyeuse. Parce qu’une fois le choc passé, plus qu’une soif de vengeance, c’est un désir de comprendre qui les anime.

Tout cela prend la forme d’une enquête rocambolesque et haletante, menée tambour battant par la journaliste de la Pologne au Brésil, où finalement, devant cette incroyable matière romanesque, elle s’amuse beaucoup (et nous aussi).

Sébastien Bourdon