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Italie, été 2025
jeudi 28 août 2025, par
28 juillet, Gênes
La dernière heure et demie de route n’était faite que de lacets, de montées et descentes, obligeant sans cesse à des ralentissement et des décélérations, en prenant la plus grande attention aux camions et voitures.
Longeant la nature, les voies ferrées et les usines jusqu’à la mer au soleil descendant, compliquant encore la chose, passant du soudain éblouissement à l’obscurité des nombreux tunnels coupant les collines.
Aoste - Gênes, c’est fait.
29 juillet, Nervi
Dans la cité balnéaire, les plages se réduisent à de jolies anses minérales, au format réduit, qui accueillent les amateurs de bains de soleil et d’eau salée (et d’humaine proximité).
La nature dans les hauteurs, la ville au pied des collines, le train qui traverse les lieux en longeant la côte, à proximité immédiate de la mer, tout cela fait penser à un décor de train électrique, un mini monde qui parviendrait miraculeusement à se tenir tout entier dans un espace réduit.
30 juillet, Nervi
La matinée révèle un ciel légèrement couvert, les lieux de baignade sont déserts. Nous ne sommes guère plus que cinq ou six là où nous étions trente hier.
Deux jeunes femmes papotent au bord de l’eau. Elles sont vaguement tatouées de petits trucs éparpillés, de ces assemblages hétéroclites qui font ressembler les corps contemporains à des papiers brouillons sur lesquels ne manquerait plus qu’une liste de courses.
Livourne : inévitables murailles enserrant la ville portuaire, au sein de laquelle se rue une foule touristique, à l’élégance vestimentaire discutable.
Est tiré un feu d’artifices pour saluer l’ouverture de festivités qui vont durer une petite semaine. Aux explosions colorées s’ajoute une musique abominable jouée à fond les ballons. On n’épargne pas plus nos oreilles que la faune et la flore.
Gênes - Livourne, c’est fait.
1er août, Rosignano
Les journées sont ici faites de cette lutte heureuse qui consiste à trouver une plage libre où poser sa serviette, sachant qu’il faudra avoir garé sa voiture au préalable, autre épreuve sportive.
Une femme mince et athlétique descend sur le sable prendre sa pause, pour un probable rapide aller-retour dans l’eau. Le geste précis et assuré, elle parvient - sans se déshabiller ni rien révéler - à remplacer ses dessous par un maillot fait d’un minimum de tissu. Bizarrement, comme tenue de bain, ça passe.
Sur une plage de réserve naturelle, un jeune couple que l’on croirait dessiné par Morris chez Lucky Luke (grande fille un peu forte, garçon petit et maigrichon), entreprend de se construire à l’aide de bouts de bois trouvés sur la plage une cabane qui les abritera du soleil et du vent.
Elle va chercher le matériel alentour, il s’occupe de le répartir sur le site, de l’enfoncer dans le sol et de le fixer. Une baignade bien méritée s’impose ensuite, parce que franchement, ici, rien que planter un parasol, c’est crevant.
2 août, Pise
Une journée sans voir la mer.
Par intermittences trop régulières, des trombes d’eau s’abattent sur les touristes, il pleut tellement que même les vendeurs de parapluie se mettent à l’abri.
Le site est évidemment beaucoup trop couru, mais il faut reconnaître que les jours de pluie, les monuments historiques, c’est très pratique.
Bien abrité, on flâne donc entre sculptures et peintures. Devant l’œil de son photographe, une bimbo encore plus restaurée que les fresques du 14ème siècle prend la pose.
À la librairie du centre-ville, un sticker apposé sur « Les Mémoires d’Hadrien » indique que pour trois livres de la même collection on a droit à un totebag. Si ça se trouve, quelques mètres plus loin, une échoppe offre du Yourcenar pour trois sacs en toile achetés.
« A chacun sa pente : à chacun aussi son but, son ambition si l’on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux. Je me sentais responsable de la beauté du monde. » Marguerite Yourcenar « Les Mémoires d’Hadrien ».
3 août, Lucca
La ville est tellement apprêtée qu’on se croirait plus au Nord. Le café où l’on s’arrête a des allures de salon de thé en Autriche.
Une grande dame âgée et mince y entre de toute sa raideur fragile. Extrêmement élégante, portant veste et pantalon, tenant un journal sous le bras, elle demande d’un air décidé si « sa place » est libre.
Elle est accompagnée d’un petit chien court sur pattes, de ceux qui évoquent irrémédiablement les boudins de tissu que l’on met aux pieds des portes pour bloquer les courants d’air. Elle s’installe à l’entrée de l’établissement, l’animal niché sur ses genoux, et commence sa lecture d’un air parfaitement digne, ne levant les yeux que pour rapidement jauger les passants.
5 août, San Rossoro
La jeune fille, mince et diaphane, a sous les yeux trois grains de beauté, deux à gauche, un à droite, qui à tant prendre le chemin des larmes, lui donnent des airs de mélancolie éternelle.
Au retour de cette plage de bout du monde, nichée au sein du parc naturel de San Rossore, le minibus croise un jeune sanglier qui s’ébat sur la route. Il ne faut pas dix secondes aux passagers pour se mettre à parler recettes de cuisine régionales.
9 août, Marina di Vecchiano
Avec quelques difficultés, puisque dimanche de début août, nous finissons par trouver à nous garer, et marchons une petite demi-heure pour atteindre une plage, au bout d’un bras de rivière qui évoquerait la Seine ou la Charente, un jour de canicule.
L’endroit est très beau, assez sauvage, l’eau n’est pas très bleue certes, mais le temps d’installer notre campement (parasol et serviettes), on s’y baignera volontiers. Il y a de la joie dans n’importe quelle flaque.
10 août, Livorno
Interpellé par une sono à plein volume faisant soudainement surgir de la nuit Faith No More et Ozzy Osbourne, on se déplace guidé par le son.
Sur les hauteurs de la forteresse construite du temps des Médicis, se niche un jardin public. Quelques estaminets y sont installés et se produisent ce soir sur une vague estrade trois groupes du cru à tendance rock dur comme on aime.
Le dernier à jouer - Hati & Skoll - fait face à une audience clairsemée de locaux et touristes, même si quelques tee-shirts noirs affichent chez certains un vrai appétit pour le genre.
Le groupe a une configuration classique (deux guitares, basse, batterie, chant) et s’il a le mérite de jouer ses propres compositions, elles ne se distinguent pas assez de la pléthorique production contemporaine pour leur garantir une postérité aussi longue que celles des murailles au sein desquelles elles sont interprétées ce soir.
À quoi tient que l’on reste à écouter leur cross-over/neo-metal charpenté : à la chanteuse. À peine a-t-elle grimpé sur la scène, nullement apprêtée, teeshirt et saroual noirs, souriante et enthousiaste, qu’on sait que ça en vaudra la peine.
Elle va en effet chanter comme si elle devait jouer en stade, se foutant complètement de ce que cela ne corresponde en rien à la configuration de la soirée, et se moquant même d’en avoir éventuellement les compétences.
Elle est là pour une joie qu’elle ne se retiendra pas d’exprimer, chantant et criant de sa voix rauque, caractéristique de ce côté-ci des Alpes.
Devant la scène, une très jeune fille aux longs cheveux blonds, médusée par la puissance du son, fera comme écho à cet appétit vivant, secouant sa crinière tout du long, comme si elle était au Wacken ou au Hellfest.
11 août, Marina di Pisa
Le père s’ébroue dans l’eau cristalline avec ses trois enfants, deux filles, un garçon, tous très jeunes. Au-dessus d’eux, sous un parasol vert, la mère, voilée des pieds à la tête, regarde son téléphone derrière ses lunettes noires.
Elle porte des running et le peu de jambes dépassant de son habit est également couvert par de longues chaussettes grises.
Elle ne quittera jamais l’ombre de son abri, accueillant parfois un enfant pour lui donner à boire ou à manger avant qu’il ne retourne à l’eau salée avec enthousiasme.
Les deux petites filles portent un identique maillot de bain qui a tout d’une robe rose. L’aînée hurle sans discontinuer, comme s’il fallait se défouler avant que ne vienne son tour de se ranger sagement dans l’identique position maternelle, une fois femme devenue.
Ce triomphe apparent du patriarcat a son revers : au bord de l’eau, le père n’aura pas une minute de tranquillité, devant assurer seul, toute la sainte journée, la surveillance continue de sa marmaille.
14 août, Firenze
Il fait une chaleur indécente, la quantité d’humains en short présents en ville est insupportable, n’empêche qu’on se fait cueillir par la splendeur des lieux. À croire qu’il n’y a pas ici un millimètre carré qui ne soit pas touché par la grâce.
Le vertige est littéralement stendhalien, faudrait revenir sous la pluie pour vérifier.
Dans la ruelle étroite abritée du soleil se trouve un disquaire, commerçant un peu inattendu au milieu des marchands du temple du tourisme de masse.
On comprend avant même d’y mettre pleinement le pied que l’endroit a tout pour plaire : il se pourrait même qu’on en ressorte avec un vinyle d’italian disco ou un CD de techno berlinoise, dans un imprévisible élan de shopping inattendu.
L’échoppe est étroite et basse de plafond, et le semble d’autant plus qu’elle est remplie de disques, forcément, et de toutes sortes de décorations : objets, affiches, tableaux, autocollants etc.
Le fond de la boutique cache un petit couloir à l’issue duquel une pièce supplémentaire révèle d’autres merveilles encore.
Heureusement, le temps manquait pour creuser encore les lieux comme son déficit, sans quoi, toute résistance eût été futile.
Un pressage pirate d’enregistrements live à la radio anglaise de Black Sabbath saura toutefois se rendre indispensable, d’autant que le disquaire, sur notre demande expresse, le mettra sur la platine, à fort volume.
Le riff de « Sweat Leaf » a immédiatement rempli l’espace, gagnant le corps et le cœur, avec une efficacité indiscutable sur le portefeuille.
Le disque sous le bras, sourire aux lèvres, on a repris notre chemin dans les ruelles écrasées par la chaleur.
17 août, Abano
Elle est nouvelle et ça se voit.
D’apparence d’abord : diaphane, quand bien même elle porte l’habit de fonction du personnel de la pâtisserie - chemise à manches courtes et tablier noirs - ses avant-bras sont tatoués, de même que la naissance de son cou. Non pas qu’être tatoué distingue aujourd’hui d’autrui, mais on sent qu’illustrer ainsi son corps correspond à quelque chose qu’elle voudrait exprimer. Il est vrai qu’elle est du genre mutique au sourire discret.
Son allure se complète d’une chevelure teintée en rouge sang, nouée à l’arrière, les côtés du crâne rasés de près. Elle doit aimer la musique.
Le personnel plus aguerri la brutalise un peu, semble s’agacer d’une inefficacité qu’on ne devine pourtant pas. Les jours suivants, elle aura finalement fait son trou, comme si elle avait toujours été là.
À la regarder, on pense à une princesse des ténèbres qui aurait été réduite à des travaux terrestres par une malédiction obscure et une belle-mère cruelle. Las, ça risque de durer, on dit que les princes n’existent plus.
19 août, Bellagio
Il y a quelque chose de la montagne tombée de la mer au lac de Côme, cette immense étendue bleue dont on ne peut croire qu’à un moment elle ne s’échappe du paysage valloné qui l’enterre.
Il y a bien des activités balnéaires, mais on n’est pas tout à fait dans le laisser-aller maritime. On porte beaucoup moins de tongs, et il n’est pas rare de croiser en pleine journée des vacanciers élégamment vêtus de robes légères et pantalons en lin.
20 août, Ambri, Suisse
La pluie frappe irrégulièrement sur la terrasse couverte d’une bâche, protégeant les clients attablés à l’extérieur. Le temps gris règne sur les vallées suisses, des nuages plus ou moins épais s’accrochent aux collines et aux montagnes.
Aux tables alentours, se télescopent dans les conversations l’italien, l’allemand et le français. C’est à se demander quelle première langue employer si l’on veut initier un dialogue. En tout cas, l’anglais ne règne pas ici.
L’autre jour, au restaurant de bord de mer :
« Io, sono Francese »
« Ah ? non si vede »
Sébastien Bourdon