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« Aprile » de Nanni Moretti (1998)

samedi 16 décembre 2023, par Sébastien Bourdon

À gauche, toute

Le saviez-vous, le cinéma Luminor, dans le Marais, est menacé de fermeture et d’expulsion. Un cinéma, ça paye mal, du moins pas assez pour un propriétaire terrien parisien. Avec ce que pourrait rapporter une boutique de fringues, qu’est-ce qu’on va s’emmerder avec des cinéphiles à cartes souvent vermeilles,et même pas gold.

Dans le cadre des festivités régulières organisées in situ pour lutter contre cette prochaine éviction annoncée, était proposée une soirée italienne où l’on eut le bon goût de programmer « Aprile » de Nanni Moretti (1998).

Avant que la séance ne commence, un spectateur a éternué d’une façon aussi drôle qu’étrange, évoquant le fameux cri de cinéma dit « cri Wilhelm ». Cet éclat sonore a déclenché l’hilarité de la salle : magie du collectif, nous rions tous avant même que le film ne commence.

Dire de ce film qu’il est un enchantement relève de l’évidence des évidences. Moretti est rarement mauvais lorsqu’il se représente en alter ego, profitant de la position que cela lui donne pour incarner tout ce qui le tracasse et le chagrine. Ici, il excelle, arrivant à évoquer pêle-mêle ses angoisses de père, de citoyen et de cinéaste avec une énergie continue.

Nanni est aussi attachant qu’insupportable, encombré par un ego démesuré, se préoccupant des autres certes, mais sans jamais cesser de revenir en lui-même, angoissé et agité.

Ce n’est pas si souvent que l’on nous donne ainsi à penser et à rire avec une telle subtilité, et ça n’a évidemment pas eu à souffrir du passage du temps.

1998, c’était hier, mais c’était au siècle dernier, et hormis l’omniprésence contemporaine des téléphones portables, rien n’a changé ou presque. Berlusconi est mort, mais l’accession au pouvoir de Georgia Meloni ne donne pas franchement l’impression de progrès (si tant et qu’une telle chose soit encore possible). Et Moretti a depuis divorcé de celle qui incarnait à l’écran son épouse comme dans la vie, Silvia Nono.

Bref, le temps a passé, mais des navires de fortune tentent toujours de traverser la Méditerranée au péril de leurs précaires occupants, albanais dans le film, syriens ou afghans aujourd’hui.

Face à un débat télévisé durant lequel Berlusconi exprime avec suffisance son charabia populiste et creux, Nanni s’exaspère et se désespère du représentant de gauche, Massimo d’Alema, qui ne fait pas utilement face : « Mais dis quelque chose de gauche ! Quelque chose de civique au moins !! ».

Et puis il y a ce final lumineux, où l’on s’accorde le droit de reprendre ses désirs et ses rêves pour la réalité, plus exactement de leur donner par l’art la possibilité de supplanter le réel.

Sébastien Bourdon

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