Accueil > Francais > Cinéma > « Anora » de Sean Baker

« Anora » de Sean Baker

lundi 11 novembre 2024, par Sébastien Bourdon

I love America

Sean Baker a des obsessions esthétiques, visibles, la couleur par exemple, mais surtout une volonté tenace, film après film : celle de se pencher sur le sort des laissés pour compte du rêve américain.

On n’est donc pas franchement dans le noir et blanc fordien des « Raisins de la Colère » (1940), n’empêche que les ravages du capitalisme ne sont pas moins visibles.

Le film s’ouvre par un plan séquence qui pose en quelque sorte le décor : des jeunes femmes peu couvertes se trémoussent sur des hommes assis, espérant par leurs mouvements outrés obtenir quelques billets supplémentaires à glisser dans la ficelle de leur string.

Anora (Mikey Madison) est de celles-là, et avec une efficacité virevoltante nous est plantée son existence, entre enchaînement mécanique de danses privées la nuit en club, et retour au petit jour dans sa colocation modeste.

La jeune femme abat le travail, tonique et frondeuse, et ne désespère pas de trouver mieux. C’est alors que surgit Ivan (Mark Eydelshteyn), un gamin russe, caricature de spoiled kid, qui va lui faire miroiter une existence prospère, mais gouvernée par un sentiment amoureux, lui donnant une pureté de conte de fées.

Un unique personnage est lucide, Igor (Youri Borisov), nervi embauché par les parents de l’héritier : il se fait sur l’écran l’écho de notre ressenti de spectateur, seul conscient de ce qui se passe réellement pour Anora.

Évidemment, si drôle et enlevée soit cette Palme d’Or, elle nous rappelle que la vie est cruelle pour les sans-grades. Le système global est corrompu, imprégnant les sentiments, les masquant et les déformant.

Pour parvenir à nous démontrer ces évidences sans nous lasser, le réalisateur bifurque rapidement et le film se transforme en une longue course-poursuite absurde, dont l’étirement fait toute la saveur drolatique.

Las et malgré tout, si le film n’est pas dénué de charmes, il est un peu téléphoné : l’éternelle damnation de la classe ouvrière frappe tous les travailleurs, ceux du sexe inclus.

Comme parfois, ce ne sera donc pas avec son meilleur opus qu’un réalisateur aura gravi un peu plus les marches de la célébrité, mais il n’en demeure pas moins que cette Palme attribuée à Sean Baker est une bonne nouvelle pour le cinéma américain.

Sébastien Bourdon

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.