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« Youssef Salem a du Succès » de Baya Kasmi

samedi 21 janvier 2023, par Sébastien Bourdon

Les Mots pour le Dire

La comédie au cinéma a des règles, elles ont été établies il y a près de cent ans, avec des cinéastes tels que Capra, Lubitsch ou Wilder. Et la première d’entre toutes est probablement la vitesse, Katerine Hepburn parlait comme une mitraillette et ce n’était pas un effet de manche : il faut que ça fuse.

Dès le début du film, cette question est réglée, le rythme est là, c’est une danse qui nous entraîne, nous bouscule, nous surprend et toujours nous enchante.

Avec cette maîtrise du style, on peut alors s’offrir le luxe d’être intelligent sans risquer d’être abscons. Ainsi, dès l’ouverture, sans prévenir, la réalisatrice part d’une fiction dans la fiction pour en questionner l’origine : d’où la création littéraire tire sa source, et quelles en seraient les conséquences dans le réel.

La retranscription de l’observation du monde et ses risques subséquents, tel est en effet l’orage qui menace Youssef Salem (Ramzy) alors que s’apprêtent à retentir pour lui les trompettes de la renommée.

Ecrire c’est d’abord prêter attention aux choses puis les faire exister différemment, les interpréter par la plume (les paroles s’envolent, les écrits restent n’est-ce pas). Mais c’est à la publication du livre que nait alors le risque de ne pas être compris, par ses lecteurs potentiels, mais aussi et surtout par les proches, les intimes.

Dans cette famille marseillaise d’origine algérienne, tous vont ainsi se retrouver dans le livre de Youssef (ou pas, ce qui n’est pas plus plaisant), et dans une culture dont l’écrivain dit qu’elle est gouvernée par le sentiment de honte, ça passe mal.

Ce qui amène très finement le film au politique. Lorsque Youssef pénètre l’arène médiatique, Baya Kasmi synthétise l’époque, avec cette communication devenue impossible, cernés que nous sommes par l’obsession de soi et l’argumentaire victimaire à flots continus.

Youssef Salem est arabe, mais aimerait bien qu’on s’en foute et qu’on parle plutôt littérature, si c’était possible, sans vouloir trop demander.

On utilise souvent l’appellation « feel-good movie » pour des films un peu couillons, or il me semble qu’on en tient ici la plus pure acception. Ce film réconforte indéniablement, pour peu qu’on aime rire, mais l’intelligence et la subtilité du propos prolongent cette sensation, on se sent comme réparé à l’issue de la projection.

Ce film gracieux et drôle réussit à toucher à quelque chose d’essentiel lorsqu’il rappelle que les mots, s’ils ont la capacité de semer la discorde, peuvent aussi réunir les êtres, même au-delà de leur disparition, de ceux qui écrivent comme de ceux qui lisent.

Sébastien Bourdon

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