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« Un Simple Accident » de Jafar Panahi
vendredi 10 octobre 2025, par
Chien Écrasé
Le début du film pourrait évoquer « Les Affranchis » (1990) de Martin Scorsese : la nuit, un trio dans une voiture, des truands chez l’américain, une famille chez l’iranien. L’atmosphère est aussi joyeuse que la route est sombre et c’est de ce côté là que, soudainement, tout bascule. Un cadavre pas tout à fait mort dans le coffre, un chien qui heurte le véhicule dans l’autre.
Jafar Panahi est évidemment bien moins démonstratif que son confrère américain, mais cette ouverture n’est pas moins saisissante en ce qu’elle va révéler du conducteur et comment ce bête accident va l’amener à se confronter à des semblables enragés.
Sa voiture tombée en rade amène ce père de famille dans un village où un habitant semble reconnaître celui qui, séide du Guide Suprême, l’avait torturé lors d’un séjour dans les geôles de la République Islamique.
Après ce début digne d’un film noir haletant, le ton change pour virer presque à la comédie italienne, réunissant une équipe disparate, représentative de la société iranienne.
Ils sont ici tous victimes du même bourreau (et donc d’un système), animés par la volonté de le démasquer, s’improvisant maladroitement en cour de justice itinérante dans un van. Comme toute justice humaine, surtout improvisée, elle se complexifie des avis variables et différents de chacun sur un impossible verdict.
Jafar Panahi n’est pas un cinéaste libre, il sort d’ailleurs de prison. Aussi, prendre une caméra, la poser dans les rues de Téhéran et filmer de la fiction revient pour lui à s’exposer à des risques autrement plus sérieux qu’un éventuel éreintement des critiques du Masque et la Plume.
L’œuvre naît ici de la contrainte, impliquant une économie de moyens dont le réalisateur sait tirer du cinéma. Traversant les genres comme les émotions, dans une image à la beauté photographique pure, sans aucune musique, le film embrasse un monde complexe, questionnant Samuel Beckett comme Hannah Arendt.
La dernière partie du film est saisissante, nocturne comme l’était l’ouverture, d’une tension presque insupportable, mettant face à face la banalité du mal comme celle du bien, rappelant aux humains la possibilité permanente d’un choix existentiel.
Sébastien Bourdon