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« L’étranger » de François Ozon

dimanche 2 novembre 2025, par Sébastien Bourdon

La Porte du Malheur

Il en fallait de l’audace à François Ozon pour adapter une œuvre littéraire aussi importante et emblématique - quand bien même il ne fut pas le premier, Luchino Visconti s’y étant notamment risqué (1967).

Paru en 1942, roman glacé dans un pays chaud, son écriture épurée se prête ici formellement assez bien à cette mise en image dans un noir et blanc de belle facture, tranché, se refusant au sépia, restituant la froideur comme la sensualité qui s’imposaient.

Meursault (Benjamin Voisin) est un bureaucrate taiseux, il vit seul à Alger, sans Maman, depuis qu’il l’a placée dans un asile pour vieillards.

A l’annonce de son décès, Meursault accomplit toutes les formalités funéraires, mais comme absent à ce qui se déroule.

À son retour, il débute une relation amoureuse avec une jeune femme, Marie (Rebecca Marder). S’il persiste à conserver une froide distance dans les mots, l’attachement des corps semble aussi intense que sincère.

Et puis, survient cet assassinat incongru, par le seul éblouissement du soleil et une violence toujours possible.

« L’étranger » est le premier roman publié par Albert Camus, mais aussi le premier texte de sa philosophie de l’absurde, développée ensuite dans d’autres de ses œuvres (le corpus complet forme une tétralogie, le « Cycle de l’absurde »).

Ozon n’a pas abordé cette adaptation à la légère, puisqu’il n’élague ni ne trahit le roman.

On compte même quelques parcimonieux passages en voix-off, comme un rappel à l’extraordinaire écriture de Camus, que d’être philosophe n’empêcha surtout pas d’être écrivain.

Benjamin Voisin fait un Meursault exemplaire, son expérience théâtrale lui servant probablement à incarner physiquement un homme de peu de mots, qui ne semble être au monde que par le corps, qu’il transpire, désire, s’épuise et enfin s’emporte.

Immense livre sur l’absurdité de l’existence humaine menant invariablement à une fin tragique - tous coupables, tous condamnés - le réalisateur en restitue la profondeur, notamment dans la dernière partie du film, aussi poignante que saisissante.

Ozon se risque néanmoins à s’éloigner à au moins deux reprises de la philosophie de Camus, pour mettre un peu d’une lecture politique contemporaine qu’on ne trouve pas dans le livre, et pour cause, « les événements d’Algérie » n’avaient pas encore eu lieu lorsque le roman a été publié. Ils étaient évidemment en germe, mais ce n’était pas son sujet.

Cela ne nuit pas à la réussite globale du film, triomphant d’à peu près tous les - nombreux - obstacles qu’offrait l’adaptation d’une œuvre aussi essentielle.

Sébastien Bourdon

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