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« La Femme Scorpion » de Shun’ya Itõ (1972)

vendredi 21 novembre 2025, par Sébastien Bourdon

Prison de femmes

Lorsque le film débute, c’est un peu comme chez Samuel Fuller : on ne sait pas où on va, mais on y va à fond les manettes.

Dans une prison japonaise - dont nous découvrirons que la population carcérale est exclusivement féminine - a lieu une cérémonie de remise de médaille au directeur, pour la qualité de ses services rendus à la nation.

Ce moment de gloire masculine est brutalement interrompu par l’indiscipline féminine, deux prisonnières ayant pris la poudre d’escampette. S’ensuit une scène de poursuite dans les marais où la meilleure volonté possible des deux femmes ne pourra tenir longtemps face au déploiement policier. Violemment interpellées, elles sont envoyées au mitard.

Cut, générique d’ouverture : à l’image, toutes les détenues - nues - défilent sur un escalier au-dessous duquel les matons pervers se régalent de leur nudité crûment exposée.

On n’a pas encore à ce stade déroulé beaucoup de pellicule, mais difficile de ne pas être déjà un peu bluffé par l’énergie et l’audace à l’ouvrage.

Dans un flash-back psychédélique, Matsu (Meiko Jajo) se souvient de ce qui l’a amené dans cet enfer. Elle était follement amoureuse d’un flic sans scrupules qui, après l’avoir déflorée, l’a utilisée comme appât dans son flirt consommé avec la légalité, l’entraînant malgré elle vers la criminalité et la prison.

Est ainsi dépeinte une société japonaise essentiellement tenue par une pourriture mâle, violente et corrompue. Non sans cynisme, le QG des salopards affiche sur sa façade le slogan : « Âme vertueuse et Harmonie ».

Dangereuse même emprisonnée, un contrat est mis sur la tête de Matsu la rebelle, tout doit être entrepris pour éliminer la femme insoumise dans une société gangrénée par des pactes de corruption.

La trame est somme toute assez classique, film de prison ou polar, selon l’angle que l’on retient, voilà qui aurait pu être tourné aussi bien aux Etats-Unis qu’en Italie (d’ailleurs tel Eastwood chez Leone, l’héroïne est mutique, mais nullement nonchalante, son regard est noir d’une colère inextinguible).

Il y a toutefois de sacrées nuances, car on mélange ici avec une énergie toute japonaise le sexe et la violence, plongeant de surcroît les stéréotypes du genre dans le psychédélisme et la BD (plus communément appelée manga dans cette région).

L’imaginaire érotique nippon n’est pas en reste : la moindre occasion est bonne pour ajouter des punitions corporelles type bondage, en arrachant les vêtements au préalable, révélant fesses et seins de bakélite mais aussi de confortables culottes blanches pour éviter toute censure.

Magie du cinéma : malgré les privations et les mauvais traitements, le cheveu de l’héroïne reste toutefois toujours impeccable.

Le travail de la couleur renvoie beaucoup aux histoires de fantômes japonais, créant de soudains changements d’atmosphère, dans un délire esthétique, musical et visuel pop assez savoureux.

Film subtilement politique et féministe, il rappelle que la vengeance, comme le sashimi, est un plat qui se mange froid et se range à l’évidente réflexion de la protagoniste : se laisser abuser, c’est là le crime des femmes.

Sébastien Bourdon

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