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« Tromperie » d’Arnaud Desplechin

lundi 10 janvier 2022, par Sébastien Bourdon

Perversité du Verbe

Philip est un écrivain juif américain, exilé à Londres (Denis Podalydès). Voilà un homme qui a réussi dans son art, qui vit confortablement, mais que la quête de l’écriture ne cesse d’habiter. Tout tourne autour de cela et ses relations amoureuses en constituent l’indiscutable ferment.

Terriblement littéraire, le film se divise logiquement en chapitres. Si son aventure avec une jeune femme mariée (Léa Seydoux) constitue le point d’ancrage, d’autres femmes pour d’autres histoires passées ressurgissent, dessinant plus précisément encore ce portrait d’auteur par celles qu’il aimées et qui ont nourri son travail, sans retenue.

S’il s’agit ici beaucoup d’amour et de désir, il est plus souvent question de l’entendre et de l’exprimer que de le voir. Philip questionne et écoute sans relâche les femmes de sa vie du moment.

Ce qu’elles lui disent, ce qu’il leur fait dire, est presque plus important que leurs rapports charnels, puisque c’est de ses échanges qu’il va faire littérature.

Il ne s’agit certainement pas pour Desplechin de défendre un machisme triomphant, mais plutôt de plaider la liberté totale et impudique de l’écriture. C’est ainsi que Philip, dans un tribunal fantasmé, va réaffirmer sa conviction profonde, l’inutilité sociale de l’art et le droit pour les femmes de ses romans de n’être représentatives que d’elles-mêmes. Le film développe une galerie magnifique de portraits de femmes diverses, sans archétype, ni réduction à des clichés.

Les dialogues exceptionnels sont portés par des comédiens qui ne le sont évidemment pas moins. La mise en scène flirte d’ailleurs régulièrement avec la théâtralité, ses personnages quittent leur décor naturel bourgeois et urbain (chambre, bureau, restaurant…) pour se trouver parfois sur la nudité d’une scène de théâtre, sans que leur discours ou la situation ne soit trahie. C’est l’évidence des évidences, et on le sait depuis Shakespeare : « All the world’s a stage, And all the men and women merely players ».

Si ce dernier film en date est probablement l’un des plus beaux jamais réalisés par Arnaud Desplechin, c’est pour tout cela, mais aussi par une mise en image d’une élégance exceptionnelle. Le choix du cadre et des objectifs, des alternances comme des ellipses, de l’éclairage comme du plan, tout concourt à donner au film une exceptionnelle facture, celle d’un cinéaste au sommet de son art.

La vie est aussi courte que cruelle, les sentiments violents, mais la capacité d’élaborer et transcender en fait le sel et la beauté pour peu qu’on sache en faire œuvre d’art.

Sébastien Bourdon

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