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« Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako

mercredi 14 janvier 2015, par Sébastien Bourdon

Clémence, Pardon, Piété

L’action se déroule dans un pays d’une grande beauté et puis, comme dans la chanson de Ferrer, il faudra qu’il y ait la guerre.

A lire les gazettes, virtuelles ou de papier, ce film semble naviguer entre critiques extatiques et reproches faits à son invraisemblance, à son manque de réalisme. Ce procès fait à l’œuvre est-il le bon ? Pour narrer des évènements à la fois proches et contemporains, il semble que le réalisateur a opté pour une atmosphère de conte, presque onirique, avec ce qu’il faut de douceur pour en contrebalancer la profonde noirceur, sans ce soucier forcément de vraisemblance historique.

Et puis, franchement était-il nécessaire de nous montrer plus encore la cruauté avérée ou potentielle des fous de Dieu pour rendre plus juste ce film. Sans être spécialiste de ce pan de l’histoire récente, mais on lit quand même les journaux, on accepte volontiers de croire que le réalisateur ait sans doute commis quelques maladresses, ne serait-ce que parce que, au premier chef, il n’a pu filmer à Tombouctou même un film censé s’y dérouler.

Ensuite, personne dans la salle ne croit évidemment à la réalité tangible de ce beau personnage de touareg, avec ses principes de résistance, sa jolie famille et sa guitare acoustique. Là encore, qu’importe, c’est par ce personnage central dans la riche galerie de portraits du film que va se propager plus encore la violence et la mort. Ce sont les événements qui font toute la densité du film, qui chassent la rêverie de ce film pourtant si beau.

Le souci de coller à une réalité historique ou factuelle n’apporterait sans doute pas grand chose de plus à l’œuvre, si ce n’est peut-être la priver de son intense personnalité, de la richesse de son regard sur ce phénomène éternel qu’est la violence que les hommes infligent à leurs semblables au nom de toutes sortes d’idées, souvent plus stupides les unes que les autres, la foi et ses avatars remportant souvent à ce jeu la palme (que le film n’a d’ailleurs pas obtenu à Cannes).

Le charme du film opère également dans un autre de ses aspects. Faits de séquences à la fulgurance poétique, tempérées par une violence brusque et effarante, il laisse à l’esprit du spectateur la possibilité de vagabonder. Loin de nous enfermer de manière manichéenne, le film donne à chacun d’entre nous une liberté de voir au travers et au-delà des images projetées, n’enfermant personne dans un carcan scénaristique ou esthétique. On nous laisse encore la place de penser, si effrayantes que puissent être les réflexions qui vont nous traverser, en plus des pistes et propositions faites par le film.

Ce dont on ne doute pas, c’est de l’infinie variété de ce panel de tristes soldats revendiqués d’un Dieu dont il serait plus sain pour tous de douter de l’existence. La richesse des portraits présentés n’empêche ainsi pas la tentation de résumer ces tristes sires à la brutale apostrophe qui leur est faite par une sorcière africaine : « Connards ! ». Ce propos lapidaire et abrupt les laisse un court instant interloqués, avant qu’ils ne reprennent leur conversation sur le football, sport qu’ils se font pourtant fort d’interdire en ces lieux momentanément conquis.

La réalité se trouve là et pas ailleurs, et le cinéaste ne la dissimule ni ne le la trahit, tout en faisant œuvre de cinéma et de poésie.

« Connards ! », il est à espérer qu’avant de mourir sous les balles, les assassinés de Charlie Hebdo aient quand même pu rappeler cette triste évidence à leurs tueurs imbéciles et violents. Pour le reste, comme le disait Churchill, « we shall never surrender ».

Sébastien Bourdon

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