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« L’aventure de Madame Muir » de Joseph L. Mankiewicz

mardi 13 février 2018, par Sébastien Bourdon

The Rime of the Ancient Mariner

Il est des films dont on se dit faudra un jour les voir, attiré par l’aura qui les entoure et souvent présentés comme essentiels à la compréhension d’une œuvre (celle de Mankiewicz en l’occurrence), ou comme pierre angulaire d’un genre (le mélodrame hollywoodien, ou quelque chose d’approchant).

Cette histoire d’amour et de fantôme anglais s’imposait donc et voilà trop longtemps que le DVD traînait sans être vu, il fallait s’en saisir d’autorité, quitte à ne pas forcément plaire aux autres passagers du canapé.

Au début du 20ème siècle, Madame Muir, jeune veuve séduisante (forcément, s’agissant de Gene Tierney) décide de quitter sa belle-famille guindée et ennuyeuse pour aller s’installer avec sa petite fille au bord d’une falaise tout ce qu’il y a de plus anglaise (même si le film a été tourné en Californie). Le fait que la demeure soit hantée, ce qu’elle va réaliser dès sa première visite, ne la chagrine pas. Elle s’éprend des lieux et décide de ne pas se formaliser du fantôme qui y habite.

Passés les premiers effrois, en femme paradoxalement libérée, elle décide de faire du marin disparu un moyen de lutter contre la monotonie des jours. Elle y parvient, et le domestique jusqu’à devenir sa libre plume. Elle va en effet rédiger, sous sa dictée, mais en y incorporant sa propre fantaisie et son esprit, les mémoires de ce vieux de loup de mer disparu (son possible suicide est évoqué).

Il s’agit ici d’écrire pour redonner vie, pour interdire le total effacement du passé enfui, mouvement inéluctable que, dans sa maison isolée, sous sa seule forme ectoplasmique, le marin ne pouvait même pas freiner.

Mankiewicz semble ainsi faire sien le propos final de « L’homme qui aimait les Femmes » (François Truffaut - 1977) : « Il restera tout de même quelque chose, une trace, un témoignage, un objet rectangulaire, 320 pages brochées, on appelle ça un livre ».

Evidemment, cet exercice d’écriture à quatre mains va amener les protagonistes à un sentiment partagé que même la mort ne pourra détruire, cette dernière étant déjà de la partie.

Avec une infinie délicatesse et beaucoup de drôlerie, ce film, au charme par essence suranné, décrit les tribulations d’une femme bien plus moderne qu’elle ne le laisse d’abord paraître et qui se refuse à la tristesse, même quand cette dernière la frappe cruellement. Veuve, puis victime d’un séducteur sans vergogne (impeccable George Sanders), passées les larmes, telle la serva amorosa de Goldoni ("Parlons de choses gaies !"), elle se refuse toujours à la tristesse dans un monde pourtant bien cruel.

Mankiewicz fait corps avec ce refus du malheur donnant à son film une légèreté qui n’est qu’apparente, s’attachant indéfectiblement à celle qui veut croire aux fantômes et à l’amour.

Sans en révéler l’issue, le film s’achève de la manière la plus mélancolique qui soit, nous laissant presque avec la conviction étrange que tant qu’il y a de la mort, il y a de l’espoir.

Sébastien Bourdon

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