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"Midnight Special" de Jeff Nichols

mardi 29 mars 2016, par Sébastien Bourdon

The Child is the Father of The Man

Jeff Nichols s’interrogeait l’autre jour dans Le Monde en ces termes : « si un père ne contrôle rien, quel est son rôle ? ». Cette question, pour le moins essentielle, il se l’est posée à l’hôpital, au chevet de son fils malade, et de cette dernière, il a fait un film. C’est l’avantage des gens talentueux sur les autres, ils ont un moyen de sublimer l’existence, ses petits tracas, comme ses gouffres béants.

Dans une autre interview, le même, à propos de son travail, livrait également la piste suivante : « Dans mes films, j’enregistre généralement ce qui me fait peur.  »

Le film s’ouvre sur un père et son fils qui fuient en voiture, dans une nuit américaine.

« Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant.
Il porte l’enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe.
 » in « Le Roi des Aulnes  » Goethe*

Rien ne nous est donné à comprendre, tout est à voir et à ressentir dans cette ouverture de film. Et déjà, une indéniable excitation intellectuelle et esthétique gagne tout spectateur normalement constitué. La photographie, l’intensité du jeu des comédiens (Michael Shannon, Joël Edgerton et Jaeden Lieberher), l’atmosphère énigmatique et haletante, on ne regrette pas d’être assis dans la salle obscure, et ce dès les premières secondes de la projection.

Jeff Nichols est peut-être le dernier espoir contemporain d’un cinéma américain à la fois ludique et intelligent, et surtout profondément sensible. On commençait à s’en rendre compte sérieusement après trois chef d’œuvre consécutifs, cette tentative de flirt avec la science-fiction vient donc confirmer tout le bien que l’on pensait déjà de ce garçon. Avec ce nouvel opus, le garçon poursuit ce que l’on ne peut appeler autrement que la construction d’une œuvre.

Le film est évidemment très référencé, à l’instar de J. J. Abrams avec « Super 8 » (2011), l’auteur glisse ainsi ça et là des références à des imaginaires, à des mouvements culturels populaires aussi importants que les comics ou le cinéma de Spielberg (et de John Carpenter, sans oublier « La Guerre des Etoiles », d’ailleurs on y croise même l’interprète de Kylo Ren, le tout à fait formidable Adam Driver).

Une liste non exhaustive de ces clins d’œil visuels s’impose éventuellement, en prenant évidemment garde de ne rien dévoiler, tant l’exercice s’est révélé amusant au cours du film, sans jamais être ni polluant, ni envahissant.

Ainsi, dans la voiture, l’enfant qui lit notamment les X-Men, est toujours affublé d’une énigmatique paire de lunettes de piscine, lui donnant une apparence qui fait immédiatement penser au héros torturé Scott Summers (alias Cyclope). En effet, ce membre de la Confrérie des mêmes X-Men ne contrôle ses rayons optiques surpuissants et destructeurs que par le port permanent de verres de quartz de rubis. Cette vision n’échappera à aucun lecteur de « Special Strange ».

Autre référence, le scientifique rêveur de la NSA, joué par Adam Driver, porte un nom délicieusement français, Paul Sevier. Impossible pour l’auteur de ces lignes de ne pas y voir un renvoi au rôle du savant français Claude Lacombe campé par François Truffaut dans « Rencontres du Troisième Type  » (Steven Spielberg – 1977).

Ceci posé, si l’on excepte les rayons bleutés zébrant parfois les prises de vues nocturnes, Jeff Nichols limite en réalité drastiquement les appels du pied à ses glorieux pairs. Il conserve intacte sa déjà très forte personnalité de metteur en scène, qui n’est ainsi nullement distordue ou trahie par le sujet, comme à ses possibles références sus-évoquées. Le réalisateur reste libre et tout à son art, notamment dans sa grande maîtrise du temps, qui peut être infiniment distendu, ou en proie à des accélérations brusques et d’une rare efficacité (ceux qui ont vu et se souviennent de la scène de fusillade dans « Mud » comprendront le propos).

Jeff Nichols persiste également à déplacer sa caméra dans un espace déterminé, celui qui s’étale sur les bords du Mississipi. La science-fiction est de ce fait plongée dans une inhabituelle atmosphère Deep South, entre bondieuseries locales (la secte du Ranch) et étendues sauvages et boueuses (où l’on pourrait croiser un zombie échappé de « Walking Dead »).

Mais là où le film vous happe pour ne plus vous lâcher, c’est dans cette étude au plus près de l’amour paternel, comme évoqué en ouverture de cette chronique. Michael Shannon, acteur fétiche de Nichols, campe ici un père qui se refuse à l’abandon ou au fatalisme, et bien que pris dans des situations qui le dépassent, il se refuse à céder un pouce de terrain à quoi que ce soit qui puisse arracher son fils à son affection. Lorsque ce dernier tente de le rassurer, il lui répond avec une intensité magnifique : « I’ll always worry about you. That’s the deal ».

Le film, entre ellipses, suspensions et fulgurances, ne s’embarrasse pas d’explications, et tourne autour de cet attachement parfaitement conscient et pourtant viscéral (l’amour maternel apparaîtra en cours de film, sous les traits d’une Kirsten Dunst sobre et émouvante).

Ce qui n’est pas moins pertinent, et le détour par la science-fiction est ici assez habile, c’est d’aussi rappeler à quel point nos enfants nous échappent, jusqu’à nous laisser penser parfois qu’ils appartiendraient à un autre monde que le nôtre.

Sébastien

*« Wer reitet zu spät durch Nacht und Wind,
Es ist der Vater mit seinem Kind
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm.
 »
« Der Erlkönig » Goethe

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