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« Terreur Aveugle » de Richard Fleischer (1971)

mercredi 4 janvier 2023, par Sébastien Bourdon

Noire est la Nuit

L’amateur de Richard Fleischer (1916-2006) est représentatif d’une certaine forme de cinéphilie exigeante : il trouvera toujours qu’on n’en fera jamais assez sur les mérites de ce réalisateur. Et il aura raison, longtemps considéré comme un technicien talentueux, on a finalement progressé et reconnu le cinéaste dans la plénitude de l’acception du terme. Toutefois, on a parfois encore du mal à reconnaître que son talent hors normes le place sans aucun doute parmi les grands, ne serait-ce que parce qu’il a expérimenté presque tous les styles, tous les genres, toutes les écoles pour au final donner à voir une œuvre singulière et éminemment personnelle.

On pourrait en parler sur des kilomètres de papier virtuel, en commençant par la découverte de la puissance possible du cinéma avec « Les Vikings » (1958), mais il existe un livre récent pour faire une telle synthèse (« Richard Fleischer, une Œuvre » de Nicolas Tellop - 2021). Et c’est justement la lecture dudit bouquin qui nous a replongé dans la vie et l’œuvre de ce grand artiste.

Voir et revoir sa dense filmographie pourrait donner envie de d’abord évoquer son film aux allures de vrai-faux documentaire qu’est « Les Flics ne Dorment pas la Nuit » ou le glaçant « Étrangleur de Rillington Place », et plus encore ce film sidérant qu’est « Soleil Vert » dans lequel Fleischer en 1973 avait décidé peu ou prou de nous montrer le bordel dans lequel on serait en 2022, en se trompant assez peu finalement.

Mais c’est littéralement fasciné par la formidable expérience d’effroi pur qu’est « Terreur Aveugle » qui a retenu notre attention et agrippé notre plume.

Le titre anglais est « See No Evil » et il est bien plus subtil que ne l’est sa traduction française : ne pas voir le mal. Or, c’est exactement ce qui arrive à l’héroïne du film, Sarah (Mia Farrow), devenue aveugle après une chute de cheval. Si nous spectateurs pouvons voir les abominations commises, Sarah peut longtemps persister à les ignorer, devant au sens propre mettre le doigt dessus pour les réaliser.

Alors qu’en son absence un psychopathe a assassiné tous les habitants de la belle et riche demeure où elle vit depuis le début de sa cécité, à son retour, elle ne rend pas compte de ce qui s’est passé, et même va devoir lui faire face dans toute la fragilité de son handicap (le spectateur est presque à égalité : nous ne verrons essentiellement que ses santiags).

Toute l’habileté de ce réalisateur déjà chevronné à l’époque se met au service de cette expérience de cinéma, nous donnant envie de hurler à la protagoniste de fuir, tels des enfants criant vainement à Guignol de prendre garde à des menaces qu’il persiste à ignorer dans son théâtre de marionnettes. Las, à l’écran, personne ne vous entend crier.

Fleischer profite même de son film pour parler de la violence endémique et rappeler que le mal ne vient pas de l’extérieur : ainsi des romanichels vite désignés coupables par la foule (impossible de ne pas penser à la lutte menée contre les mêmes préjugés par Tintin dans « Les Bijoux de la Castafiore  », œuvre littéraire pour le moins essentielle sur combien trompeuses sont les apparences).

Le fil du récit ne se défait jamais de la tension ici programmatique. Si certaines idées de mise en scène sont immédiatement visibles et frappent par leur efficacité, il faudrait revoir encore le film pour en savourer toute l’intelligence et l’habileté diabolique qui vous font en sortir parfaitement enthousiaste.

Sarah traverse ce conte horrifique avec pour seule arme sa détermination, du château devenu hanté à la forêt menaçante, petite fille perdue dont le hurlement finit par emplir le désert.

Sébastien Bourdon

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