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« Tár » de Todd Field

mardi 21 février 2023, par Sébastien Bourdon

Pars Vite et Reviens Tard

Lydia Tár (Cate Blanchett) incarne la quintessence de la réussite intellectuelle occidentale : chef d’orchestre de réputation mondiale, toujours entre deux avions, donnant concerts, cours et conférences, elle vit à Berlin avec son premier violon de femme (Nina Hoss) et leur fille. Leur intérieur est le fantasme réalisé d’une certaine bourgeoisie blanche et progressiste : béton ciré, Kilim et mobilier scandinave (et quelques statues africaines pour faire bonne mesure).

Tout suinte le prestige, mais évidemment, un tel aboutissement ne va pas sans anxiété et quelques névroses plus ou moins mal contenues. Plus dure sera la chute nous prévient-on à mots à peine couverts dans ce film qui commence d’ailleurs par le générique de fin (de l’audace, toujours de l’audace…).

Lydia plane un peu au-dessus de son univers et se fait parfois oiseau de proie, que cela soit dans la gouvernance comme dans le désir : elle prend, tranche, écarte, jette… convaincue de ce que son autorité est légitime.

Mais, la nuit elle dort mal, se réveille et arpente son intérieur hermétique mais où s’imposent à elle des inquiétudes qui prennent la forme de sons ou d’objets.

Porté par une esthétique glaciale de tous les instants et une actrice géniale de tous les plans, on pourrait avoir un grand film (en tout cas, en voilà un qui a été présenté partout comme tel). Et pourtant, il faut bien deux heures pour qu’il se passe enfin quelque chose, et encore la manière dont c’est expédié laisse à penser que le cinéaste avait oublié qu’une idée et une remarquable comédienne ne font pas forcément une œuvre majeure.

La solution est alors de donner au film les oripeaux d’un chef d’œuvre, et de remplir les presque trois heures de tout ce qu’il faudra à l’intelligentsia internationale pour en être convaincue.

On ne revient pas sur l’énergie et le talent mis dans la beauté, c’est indiscutable. On ne contestera pas non plus le fait que Cate Blanchett est au sommet de son art, c’est l’évidence. L’habillage sonore est musicalement sublime et techniquement parfait. Au final, à l’instar de sa protagoniste, le metteur en scène se distingue par sa maîtrise apparente.

Et pourtant, c’est à la fois creux et boursouflé, sans logique dans la narration et, plus souciant, sans que l’on comprenne le discours du réalisateur.

Parce que, on ne nous en voudra pas de l’avoir ainsi ressenti, Lydia Tár est peut-être insupportable, mais géniale, drôle et brillante. Sa manière de parler de musique ou de moucher un millenial qui ne veut pas s’intéresser à Bach au prétexte qu’il était blanc et cisgenre, en font un personnage fascinant dont les écarts comportementaux annexes sont finalement assez excusables.

C’est pourtant elle qu’on exécute et la manière dont l’affaire est expédiée interroge : sommes-nous du côté du génie, ou avec la vindicte contemporaine ? Quelle est la posture du réalisateur, veut-il punir la musicienne de son péché d’orgueil, engluant son film dans une très longue leçon de morale ?

Impossible de le savoir à l’issue de ses presque trois heures de projection. On dirait qu’à l’instar du chef d’orchestre qui, si bouffi d’orgueil soit-il, est rarement celui qui écrit la musique, Todd Field ne maîtrise ni son histoire, ni ses personnages, se contentant de les filmer (non sans brio, toutefois).

Sébastien Bourdon

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