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« Tabou » de Friedrich Wilhelm Murnau (1931)

samedi 18 janvier 2020, par Sébastien Bourdon

Tristes Tropiques

Tourner ce film revint semble t’il à ouvrir la tombe de Toutânkhamon avec son fameux lot de malédictions diverses : incidents techniques, blessures, et même décès : un cuisinier et Murnau lui-même dans un accident de la route huit jours avant la sortie du film le 18 mars 1931.

Inspiré d’une légende tahitienne, l’oeuvre raconte les amours malheureuses de Reri et Matahi. Au sein d’un espace vierge et paradisiaque, ces deux jeunes gens se lient d’un amour indéfectible. Las, un triste jour, le vieux Hitu apporte un message : Reri a été choisie par le chef de l’île voisine de Fanuma pour devenir la nouvelle vierge sacrée de la tribu. Dès lors, Reri est tabu. « Aucune loi des dieux n’est plus sacrée que celle qui protège l’élue. Aucun homme ne peut la toucher ou la désirer du regard pour son honneur et celui de son peuple ». Si la nouvelle enchante les villageois, elle désespère évidemment nos tourtereaux qui décident de s’enfuir.

Hélas, il sera bien difficile d’échapper à l’ancestral patriarcat, comme à la corruption coloniale.

Le film - construit en diptyque - décrit donc un monde rousseauiste, un paradis terrestre condamné par les efforts conjugués des us et coutumes anciennes comme par la perversion moderne (ici incarnée par les chinois et les français).

L’héroïne est devenue taboue, comme plus tard dans le film un lieu de pêche hanté par un requin particulièrement agressif, protégeant ainsi une réserve d’huîtres perlières des appétits humains.

Tourné sur place avec des acteurs locaux, le film est d’une indéniable beauté formelle. Murnau tenait semble t’il peu à développer les aspects plus philosophiques ou politiques de l’œuvre, se concentrant sur les aspects esthétiques et romanesques. Rohmer disait de ce film qu’il était «  le plus beau film du plus grand cinéaste du monde » (Truffaut, du même réalisateur, préférait « L’Aurore », le cinéphile fera son marché).

La représentation du soir voyait les images accompagnées d’une musique jouée live par le guitariste Serge Teyssot-Gay et le batteur Cyril Bilbeaud (Zone Libre). Se refusant à la facilité ou à la simple illustration, le duo free rock emmène le film de Murnau vers des territoires plus menaçants encore, comme décelant plus profondément dans les visions paradisiaques la réelle noirceur du monde.

Ne cédant à aucune facilité musicale, les musiciens utilisent la pellicule et la narration comme vecteur de volutes sonores et rythmiques. Cet audacieux assemblage d’images et de sons donnait à la soirée un caractère hypnotique particulièrement senti et ressenti.

Sébastien Bourdon

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