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« Saint Omer » d’Alice Diop

samedi 26 novembre 2022, par Sébastien Bourdon

La Mer, la Mère, les Chimères

Inspiré d’un fait divers glaçant - l’assassinat d’un bébé par sa mère - « Saint Omer » se concentre sur le procès qui a suivi, où s’est révélée dans la figure de la coupable, une personnalité déconcertante et perturbante (Guslagie Malanda).

Presque minutieusement, puisqu’est même repris pour une bonne part le verbatim du procès, on s’attache à la marche de la justice face à l’acte aussi épouvantable qu’incompréhensible de cette Médée du Nord (mais venue du Sud, puisque d’origine sénégalaise).

Le film, encensé de toutes parts, parfois à juste titre, manque pourtant de clarté dans son propos, quand bien même il est indiscutablement le fruit d’un long travail d’étude et de réflexion. D’ordinaire documentariste, la réalisatrice Alice Diop semble avoir craint la fiction basée sur des faits réels, et usé, peut-être inconsciemment, de multiples stratagèmes qui nous maintiennent à distance.

Plus souciant, le message est si enterré dans l’austérité de la forme qu’on finit par se demander s’il y en a un.

La réalisatrice aurait eu envie de réaliser ce film en lisant que, durant le procès, plusieurs journalistes se seraient étonnés du français impeccable de la meurtrière. On aurait sous-entendu ainsi qu’une femme noire n’aurait normalement pas eu la possibilité d’acquérir un langage aussi châtié (clou enfoncé dans le film lorsque la prof d’université s’étonne à la barre de ce que la même ait voulu écrire sur Wittgenstein plutôt que sur un auteur de sa propre culture).

On nous permettra de penser que l’on force ici un peu le trait à des fins idéologiques : qui imaginerait qu’une femme ayant abandonné criminellement son enfant aux flots de la mer du Nord à Berck soit une fine lettrée ? Le préjugé sur l’assassin, nécessairement de basse extraction, a la peau dure (surtout dans le cas d’un infanticide chez les Chtis !). Il est vraisemblable que la pensée de la presse eut été invariablement gouvernée par un semblable préjugé d’illettrisme, quelque fut la couleur la meurtrière.

Le film s’égare également nous semble-t-il dans le portrait d’un autre personnage féminin, sorte d’alter ego de la réalisatrice, venu au procès pour trouver matière à son prochain livre (Kayije Kagame). La question de la littérature est vite évacuée et reste cette observatrice qui semble éprouver beaucoup à l’audience sans que l’on puisse partager tant elle est mutique. La meurtrière est une énigme et force est de constater que celle qui regarde le procès, extension de nous qui regardons le film, l’est quasi tout autant.

Qu’est-ce qui fait qu’on tue son propre enfant ? Comme le rappelle l’avocat général, il n’y a pas de civilisation au monde pour l’absoudre et il faut ici juger le crime en dehors de toute considération culturelle ou géographique.

Reste donc un film dans lequel tout n’est pas à jeter, loin de là, mais qui se perd un peu dans son propre fil, et que l’on peine à rembobiner.

Sébastien Bourdon

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