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"American Sniper" de Clint Eastwood

jeudi 12 mars 2015, par Sébastien Bourdon

Ready to come home

La dame dans la queue juste derrière moi, quand est venu son tour, a dit à la caissière : « Clint Eastwood, deux places s’il vous plaît ». Ce que c’est que d’être un cinéaste célèbre tout de même. Il est vrai que nous sommes une cohorte de fidèles, qui inlassablement, à chaque nouvelle sortie, viennent voir de quoi est encore capable l’ancien maire de Carmel (Californie).

Le film a rencontré un succès public colossal et a au passage réveillé la controverse un peu datée sur la pensée éventuellement réactionnaire de Clint Eastwood. Les Républicains ont adoré le film, Michael Moore l’a détesté dans un même élan. Cela suffit-il à en faire une œuvre au parfum un peu rance de glorification nationaliste ? Franchement, tout fan béat qu’il soit, l’auteur de ces lignes ne le pense pas.

Il est notamment reproché à l’œuvre de ne pas s’attarder plus sur les irakiens, de les présenter comme des ombres fugaces et brutales que les Navy Seals s’acharnent à tuer dans des combats sans merci. Certes, mais il ne s’agit pas d’un film voulant nous amener à comprendre les tenants et aboutissants d’un conflit. Ce qui nous est donné à voir c’est la trajectoire d’un homme devenu un tueur prodigieux dans des circonstances bien particulières, ne serait-ce que parce qu’il est convaincu de faire le bien. Tout est filmé de son point de vue, ce dernier étant assez étroit puisque s’agissant d’un tueur d’élite, il ne voit évidemment que par le bout de sa lorgnette (de visée).

Pour le reste, Clint Eastwood, même si cela a pu lui arriver, ne fait pas forcément de films confortables, la violence parfois insoutenable de certains plans et l’éventuelle ambiguïté du propos sont là pour le rappeler. On envoie beaucoup de choses à la figure du spectateur, en lui demandant de s’en débrouiller, le réalisateur n’entendant pas lui prendre la main. Sous une apparente structure classique héritée de l’âge d’or hollywoodien (Ford, Hawks etc.), Eastwood réalise des films à la fois complexes et ouvrant la porte à des interprétations multiples. Comme le rappelait le cinéaste Olivier Assayas, pour Clint Eastwood, « la question centrale est l’impossibilité de saisir la vérité  ». Soyons clairs, on ne va pas voir ce film pour retrouver des sensations équivalentes à celles proposées par la programmation musicale de France Inter (par exemple).

En revanche, une seule certitude, Clint a encore réalisé un très bon film, même à bientôt 85 ans, le gâtisme n’est donc pas pour aujourd’hui et vraisemblablement pas non plus pour demain.

Le film part d’un fait indiscutable, en 2000, les cowboys n’existent plus, la frontière de l’Ouest sauvage a été franchie et bétonnée depuis belle lurette. Cela a déjà été brillamment filmé par le passé, notamment par David Miller (« Seuls sont les Indomptés » 1962) et évidemment John Huston (« The Misfits » 1961). Chris Kyle (Bradley Cooper) aurait pourtant bien aimé être un cowboy, mais c’est trop tard, et les épreuves de rodéo auxquelles il participe devant des assemblées à moitié vides l’obligent à changer pour une voie qui soit moins de garage. L’histoire est en marche, les attentats anti américains qui se succèdent vont l’amener presque naturellement à devenir un guerrier, plus particulièrement chargé de protéger ses pairs soldats, avec chevillée au corps la conviction d’œuvrer pour l’Amérique, aka « le plus beau pays du monde ».

Une « grande » Nation ne naît puis ne survit que dans la violence. Partant de ce constat, il en est forcément quelques uns qui se salissent franchement les mains. Chris Kyle était de ceux-là. Avec la mise en images de cette histoire vraie, loin de faire l’apologie de la brutalité, et une fois de plus, Eastwood montre frontalement le dégoût qu’il éprouve pour la violence. L’ensemble est filmé dans une relative sécheresse mais avec une sacrée virtuosité, et on reste fasciné par l’efficacité et la beauté de la mise en scène. Jamais le réalisateur ne s’attarde trop sur un plan, si beau ou impressionnant soit-il, il passe au suivant et son film avance alors comme un Hummer dans les rues de Fallouja, se défiant des obstacles et des chausse-trappes.

Porté par un acteur que l’on n’imaginait certainement pas si impressionnant, Bradley Cooper dans le rôle de Chris Kyle, le film alterne les périodes de combat en Irak (les « Opex ») et les retours à la maison. Sans se rendre compte qu’il est pris dans un engrenage de destruction de lui-même, Chris Kyle devient progressivement sous nos yeux un homme perdu. Cet état est d’autant plus inévitable qu’il ne se pose pas ou peu de questions, trouvant même une explication logique à la mort d’un de ses camarades de combat dans les récentes interrogations de ce dernier sur leur présence en Irak.

Ce soldat d’élite n’est pourtant pas un monstre, il est presque attachant, les facettes subtiles du jeu de l’acteur parviennent à nous le rendre familier et à mieux appréhender son existence chaotique. Finalement et plus largement, ce film nous aide à mieux comprendre ces types que l’on envoie régulièrement au casse-pipe, qui y trouvent un sens à leur vie, mais dans un processus qui finit par faire d’eux des fantômes, absents à eux-mêmes, perdus dans leur prise de conscience : comment peut-on aller au supermarché par une belle journée ensoleillée quand, de l’autre côté de la Terre, on exécute des enfants à la perceuse.

Ce qu’oublie Chris Kyle, c’est que le mal est partout, et que le sang ne coule pas moins dans les rues d’une Amérique parfois si mortifère.

« Alors Jésus lui dit : remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » (Evangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu 26 :52).

Sébastien Bourdon

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