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« Portrait de la Jeune Fille en Feu » de Céline Sciamma

mercredi 25 septembre 2019, par Sébastien Bourdon

Les deux Bretonnes et le Continent

Construit comme un long flash-back dans la mémoire d’une des deux protagonistes, le film raconte un amour et une époque. En 1770, Marianne (Noémie Merlant), une femme peintre, est envoyée en Bretagne réaliser le portrait d’une jeune aristocrate locale, Héloïse (Adèle Haenel). Ce tableau devra ensuite être envoyé à son futur époux à Milan, mariage évidemment arrangé. Avant l’ère des sites de rencontres, il semble que l’on appréciait déjà l’envoi d’une image avant de consommer. La finalisation de cette opération de communication prénuptiale serait en quelque sorte le dernier clou planté dans le cercueil que sera nécessairement ce mariage.

Le début du film est d’une très grande beauté, avec peu de dialogues et encore moins de musique, des paysages âpres et somptueux qui nous renvoient aux découvertes littéraires dans l’édition XIXème du Lagarde et Michard. L’atmosphère est même presque gothique, on se croirait parfois dans le « Rebecca » d’Hitchcock.

Surtout, le film dépeint avec une très grande justesse un monde sans hommes apparents, mais où tout est décidé par et pour eux. Héloïse a ainsi été sortie du couvent pour se marier, prisonnière d’une vie sans choix, où le seul qui lui reste est de se refuser à être dessinée.

Cette première partie du film est admirablement réalisée, Céline Sciamma fait de la politique sans être trop manichéenne, et les subterfuges et dissimulations de Marianne pour piéger Héloïse, quand au fond elle partage sa colère, font de bien jolis moments de cinéma. Le troisième personnage, la servante que les deux aînées vont soutenir dans ses malheurs, est particulièrement bien campée et dit aussi beaucoup d’une autre strate de la société de l’époque (Luana Bajrami).

Ce trio exclusivement féminin va finir par former une sorte de société idéale, même si toujours menacée. Las, on eût pu faire l’économie de la romance.

Après avoir été d’abord très emballés, nous voilà contraints à enchaîner les scènes de regards de braise devant des feux de cheminée. Cela se révèle d’autant plus pénible que le film s’étire longuement et ne nous sont même pas épargnées les âneries que de tous temps les amants se sont échangés, une fois les premiers élans de la chair un peu apaisés : « Tu te souviens de la première fois que tu as eu envie de m’embrasser ? ».

La réalisatrice, durant sa présentation du film, affirmait sans fausse modestie avoir raconté l’amour d’une façon inédite, notamment en ce qu’il n’y aurait pas de rapports de force entre les deux femmes. On peine pourtant à retrouver une quelconque réelle originalité dans cette histoire d’amour entre un artiste et son modèle (qui fait sans doute écho à sa propre vie intime, ayant été dix ans la compagne d’Adèle Haenel). Si ce qui distinguerait cette œuvre de siècles de création, c’est l’homosexualité de l’amour et la pilosité sous les bras, on nous permettra de penser que c’est un peu présomptueux.

Reste la sensation d’un bel effort de cinéma, mais qui eût mérité un traitement moins mièvre encore, pour ne pas se perdre dans les clichés, si jolis soient-ils.

Sébastien Bourdon

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