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« Ouistreham » d’Emmanuel Carrère

mercredi 26 janvier 2022, par Sébastien Bourdon

Rester à Quai

L’exercice était nécessairement périlleux : un écrivain renommé - Emmanuel Carrère - adapte pour le cinéma un ouvrage à succès d’une journaliste non moins célèbre - Florence Aubenas.

Pour ceux qui l’auraient oublié, ladite Aubenas s’était faite passer pendant plusieurs mois pour une chômeuse en perte de droits, désespérant de trouver des contrats de travail à temps très partiel, pour témoigner au plus près de la réalité de la précarité qui frappe nombre de nos semblables.

Sa recherche d’heures de ménage (« d’entretien ») lui avait servi de matériau à un livre - « Sur le quai de Ouistreham » 2010 - qui rencontra un succès très largement mérité et contribua, peut-être, à mieux appréhender une certaine réalité sociale essentiellement féminine, qui n’a pas disparu, loin de là.

Adapter au cinéma un livre qui se voulait au plus proche d’un univers aussi sensible que violent nécessitait une belle finesse de vue : il ne s’agissait surtout pas d’abâtardir l’essence même du propos, cette volonté de transcrire un réel douloureux, de rapporter une parole.

Emmanuel Carrère sait écrire, il sait donc aussi filmer, cela ne fait pas ici le moindre doute. La photographie est splendide, les scènes se succèdent avec ce qu’il faut de didactisme et d’humanité, et s’il prend ses libertés vis-à-vis du texte, aidé de ses interprètes, il ne trahit pas et rend justice à ces femmes.

La Normandie est grise mais belle, les petits matins sont blêmes à ces forçats du bord de mer, mais on se serre les coudes, et parfois de cet effort permanent de survie surgissent des éclats d’espérance collective.

Surtout, porté par le talent d’une impeccable Juliette Binoche, le dilemme moral du livre n’est également pas esquivé. Ce travail de journaliste embarqué nécessitait une dissimulation, un mensonge sur l’identité faussant la nature des liens et relations créés. Et rapidement la protagoniste se met à souffrir de cette trahison quand la solidarité et l’affection qu’elle reçoit sont de plus en plus prégnantes. Tout est faux, cette vie de misère peut pour elle d’arrêter sur un claquement de doigts, ce qui n’est évidemment pas le cas de ses collègues.

Ainsi si son enquête sur cette exploitation humaine est moralement justifiée, les moyens pour la mener le sont-ils ? C’est toute la possible amertume de ce très beau film.

Sébastien Bourdon

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