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« Nope » de Jordan Peele

mardi 13 septembre 2022, par Sébastien Bourdon

Don’t Look Up

Les lointains descendants du premier acteur de la première photographie animée - un jockey noir sur un cheval - exploitent un petit business de dressage de chevaux pour le cinéma et la télévision. Frère et sœur (Daniel Kaluuya et Keke Palmer) coincés dans une vallée perdue de bout du monde américain, ils tentent de placer leurs canassons sur des tournages hollywoodiens. Las, en lieu et place des films, des publicités médiocres, et en ces lieux fordiens par excellence, point de cowboys et d’indiens, mais un triste parc d’attractions : une Amérique réduite à une représentation fantasmée d’elle-même.

Un petit matin à la saveur étrange, des objets tombent soudainement du ciel, occasionnant la mort du père, qui meurt alors comme il a vécu, sur son cheval.

Dès le départ, à l’image comme dans les thèmes abordés, cela fourmille d’idées - et encore on ne vous a pas parlé du pré générique : les références à l’histoire américaine, les clins d’œil au 7ème art sont multiples (un art en soi, mais aussi en quoi une image raconte le monde), avec des questionnements raciaux en filigrane, des interrogations presque métaphysiques sur le dressage, une description de la famille comme entité de construction/destruction etc.

Audace là encore, pour porter ce film fantastique dans toutes les acceptions du terme, l’interprétation des acteurs semble en léger décalage avec les événements, jusqu’à l’étrangeté (calme olympien pour lui, hyper activité pour elle).

En réalité, ce qui frappe sans cesse dans ce film fou et fleuve, c’est la liberté. Jordan Peele fait ce qu’il veut, met en scène une histoire et des réflexions (dans un œil d’or), exactement comme il ressent les choses et comme il veut les montrer. Il s’agit peut-être d’un film de science-fiction, mais on y trouve une liberté de forme et de ton qui relève de la plus pure acception du concept « art et essai », sans même évoquer la fameuse « politique des auteurs » : désir ET proposition de cinéma par un réalisateur, qu’importe le genre dans lequel on classe l’œuvre.

Mais revenons à l’histoire, celle de nos dresseurs de chevaux menacés par des dévoreurs de monde (quand ils vivent eux-mêmes sur les cendres d’une Amérique disparue). Avant de se poser la question de détruire l’envahisseur, ils veulent le filmer, et de la manière la plus professionnelle possible. L’annihilation de la fée électricité par la créature extraterrestre les oblige, et c’est de la poésie pure, à revenir aux origines mêmes de la prise de vues.

Mais les explications que l’on se donne à ce qui se passe à l’écran ne valent peut-être rien, Jordan Peele ne ferme jamais son film. Sans être prétentieux ou abscons, sacrée gageure, sans faire le malin avec ceux qui regardent, il déploie tout son talent de conteur visuel. On en prend plein les mirettes, mais derrière cet éblouissement continu, notre esprit est sans cesse sollicité. Dans ce film à grand spectacle, on nous interpelle comme spectateurs pensants, sans nous faciliter la tâche, en nous donnant des bribes de réponses possibles, nous permettant de poursuivre longtemps ce qui est à voir, mais aussi ce qui est à imaginer.

Parce que ce film et ses personnages ne parlent finalement que de cela, de l’envie de filmer (raconter) des histoires, qui tournoient et s’échappent, et que l’on doit instamment mettre sur pellicule pour qu’elles ne nous dévorent pas.

Sébastien Bourdon

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