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« Monsieur Klein » de Joseph Losey (1976)
jeudi 22 août 2024, par
La Métamorphose
C’est l’histoire d’un homme qui se découvre un double homonyme et qui, en cherchant à le trouver, finit par se perdre lui-même.
Paris 1942, Robert Klein (Alain Delon), alsacien d’origine et marchand d’art peu scrupuleux, mène une vie confortable et égoïste, peu soucieux de ses semblables en ces temps difficiles. Un matin devant sa porte est déposée la revue Informations Juives, alors qu’il n’est pas de cette obédience religieuse. Probablement inquiet des risques qu’une telle assimilation lui ferait subir, il en informe la préfecture (déclenchant par là un processus d’écrasement kafkaïen), et entame parallèlement une enquête pour découvrir cet autre lui-même.
Qu’est-ce qui fait de ce film une œuvre quasiment parfaite, un diamant noir de l’histoire du cinéma : tant de choses en somme.
Tout d’abord, Joseph Losey fait montre d’une maîtrise absolue dans l’alternance des atmosphères : tantôt naturaliste (la séquence d’ouverture, absolument glaçante), tantôt surréaliste, multipliant les représentations étranges et énigmatiques, nous décontenançant comme le personnage principal, sans jamais relâcher la tension.
Ensuite, ce qui fut une des premières représentations cinématographiques réalistes du Paris occupé reste aujourd’hui d’une justesse aussi terrible qu’absolue. Ainsi de l’absence de soldats allemands à l’écran, rappelant qu’il n’y eut point besoin d’eux pour accomplir ce qui est probablement le pire crime commis par des parisiens contre d’autres semblables (la rafle du Vel d’hiv’).
Aucun pathos - et ce d’autant qu’aucun personnage ne suscite de sympathie, à commencer par son principal protagoniste - dans cette description d’un temps où appartenir à certaines identités pouvaient vous conduire à la peur et à la mort.
Enfin, aucune lourde volonté démonstrative n’est à déplorer : Losey restitue l’implacable réel en lui donnant par touches les contours du fantastique, sans jamais dénaturer ou trahir la complexité du propos.
Cette œuvre d’art dans la plus pure acception du terme s’offre même le luxe d’être un peu ludique : ce vertige de soi qui serait un autre est probablement un remake à peine déguisé de « La Mort aux Trousses » (1959), mais dans une version noire et glacée, cauchemardesque.
Si son réalisateur est pour beaucoup dans ce film, une part non négligeable de sa réussite artistique trouve son origine dans un Alain Delon parfaitement exceptionnel. Il n’est pas si fréquent de voir un acteur donner tant à l’image avec une telle économie de jeu. Chaque frémissement de son visage, chacun de ses gestes habitent le cadre, diffusant à nous qui le regardons un indicible sentiment d’empathie envers ce qui se trame au cœur d’un être, si froid soit-il.
Sébastien Bourdon