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« Little Girl Blue » de Mona Achache

mardi 21 novembre 2023, par Sébastien Bourdon

Fille de…

« Vieillir c’est survivre à un enfant mort » disait Jean Genet (qui ne sort pas grandi du film, il faut bien le dire), ici, Mona Achache cherche plutôt à savoir comment on survit à la mère morte, sachant que cette dernière s’est, un triste 1er mars 2016, pendue dans sa bibliothèque, prenant ainsi de l’avance sur l’inévitable séparation.

On se transmet beaucoup de choses dans une famille, ici de mère en fille, et dans cet héritage du sang et du cœur, peuvent se trouver des abîmes de désespoir.

Mona Achache est la fille de Carole Achache, elle-même fille de Monique Lange. Des destinées féminines de lettres et de films, en connexion avec leurs temps. La première de la lignée participa activement aux riches heures de Gallimard, la seconde plongeant un peu trop profondément dans mai 68, jusqu’à s’y presque noyer, mais sans oublier d’écrire, avec acharnement.

La dernière, Mona, fruit de cette descendance complexe, aimante et torturée, fait des films et tente d’user de cet outil pour exorciser un peu de ce matériau intime.

En effet, le cinéma rend immortel alors pourquoi ne pas lui demander de vous rendre un peu de votre mère. L’audace est dans le propos, mais aussi dans le dispositif, le film évoquant parfois un documentaire qui flirterait outrageusement avec l’onirisme.

Exposant d’abord physiquement l’immensité de la tâche, la réalisatrice ouvre le film, perdue dans une grande pièce débordant d’écrits, de photographies, d’enregistrements, qu’elle s’efforce de classer.

Mona Achache filme ensuite in extenso le passage de témoin à l’actrice. Marion Cotillard arrive dans cet espace dont nous ne sortirons que par l’évocation, habillée décontractée, et comme dubitative sur ce qui va se passer. Elle se transforme ensuite sous nos yeux, au fur et à mesure qu’elle endosse la tenue de celle qu’elle va incarner. Et soudain, Carole Achache que l’on avait brièvement découverte en photo et en son à l’ouverture du film, reprend littéralement vie (on découvre à cette occasion que Marion Cotillard n’aurait pas dénoté chez John Cassavetes, tant elle est ici intense).

De là, dans un voyage immobile, le film tente de remonter le fil d’une existence, avec l’aide d’une actrice et de documents d’archives, le tout s’entremêlant pour créer un corpus cohérent. S’y poursuit en son centre une recherche sur ce que l’on donne et reçoit, mais aussi sur l’après-guerre et mai 68, ce que les pensées et réflexions de ces époques ont produit, pour le meilleur et pour le pire.

On suit l’errance volontaire de Carole, son enfance à la fois décalée et trop courte, sa vie d’adulte chaotique, ce qu’elle tient de sa mère, ce qu’elle a légué à sa fille, comme plaies et blessures, et comme amour inextinguible, avant de brutalement couper le fil (mais en ayant au préalable fait littérature du lien avec sa propre mère : «  Fille de  », paru en 2011).

Sans jamais être noyé dans son audacieux dispositif, le film se révèle éclairant, bouleversant et passionnant.

« Moi aussi, comme ma mère, je suis l’héritière très heureuse et très traumatisée d’un milieu indissociable de ses contradictions » Mona Achache le 7 novembre 2023

Sébastien Bourdon

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