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Les Trottoirs de Manille

"Manille" de Lino Brocka (1975)

mercredi 22 février 2017, par Sébastien Bourdon

« Manille » de Lino Brocka (1975)

La cinéphilie jusqu’à friser la presque caricature, brusquement décider sur un coup de tête qu’on ne manquera pas le film philippin qui se donne ce soir au ciné-club de notre cinéma de quartier.

Pourquoi un tel élan du cœur (qui a des raisons que la raison ignore comme chacun sait) ? Si Montesquieu s’interrogeait sur comment être persan, il n’est pas interdit de se demander ce que c’est d’être philippin (peuple qui ne se résume pas uniquement à de petites dames que l’on croise généralement dans le 16ème arrondissement de Paris). Et quoi de mieux que le cinéma pour découvrir un pays, parce que franchement le tourisme, cela nécessite de faire des valises pour aller attendre à l’aéroport, c’est toute une affaire.

Nous voilà donc dans la salle de projection, pas si dégarnie, si ce n’est sur le plan capillaire, ce qui rassure quant à la curiosité intacte de certains spectateurs, s’agissant de découvrir un mélodrame social tourné au siècle dernier dans un pays lointain.

L’intrigue se noue autour d’une déclinaison classique, sur fond d’éternelle damnation de la classe ouvrière. Julio, petit provincial dont la fiancée a disparu après avoir rejoint Manille, tente de la retrouver dans cette ville immense, bruyante, désordonnée et étouffante. Véritable Candide brusquement largué dans la violence urbaine et sociale, Julio va faire ici un cruel et tragique apprentissage de l’existence. On dirait du Zola n’est-ce pas.

Le film, tourné en à peine trois semaines, prend le parti de documenter précisément le quotidien de ces damnés de la Terre, entre chantiers de construction et prostitution, deux faces d’une seule et même terrible exploitation humaine.

Pour faire face à ce monde qu’il découvre à la dure, ce jeune homme se renferme dans des rêveries passées, cette issue fantasmatique se révélant pour lui le seul échappatoire possible à l’effroyable brutalité de son quotidien. Evidemment, ce refuge systématique dans le fantasme mélancolique, si compréhensible soit-il, lui interdit de mieux appréhender les événements. Sans aucun recul sur ce qu’il vit, Julio court évidemment et tristement vers l’inéluctable catastrophe.

Toutefois, ces réguliers flash-back d’une vie idyllique en bord de mer se révèlent un peu pénibles à la répétition, entre musique sirupeuse et couchers de soleil sur lents mouvement de cheveux.

De la même manière, Lino Brocka aligne de nombreux plans sursignifiants, avec rictus rageurs ou froncements de sourcil, qui frisent les limites du ridicule.

Nous avons obtenu des explications sur ces facilités visuelles, entre films de kung-fu et telenovelas brésiliennes : le réalisateur optait pour de telles ficelles afin de garantir à ses films une possibilité d’accès au grand public, tenant à montrer au plus grand nombre, et dans son pays, les réalités de l’existence sous le dictateur Marcos. Il ne s’agissait donc certainement pas de séduire, quarante ans plus tard, le public d’une salle de ciné-club logée aux portes de Paris. Il arrive que l’art exige un certain éclairage pour être mieux appréhendé.

Nonobstant un fond douloureusement pessimiste, le film montre une communauté ouvrière soucieuse de ses pairs, offrant gîte et couvert aux compagnons d’infortune. Las, rares ceux qui s’en sortent et si l’on s’invite volontiers à dormir, on se croise souvent et pour la dernière fois au cimetière.

L’on peut s’interroger, quarante ans plus tard, sur l’éventuelle persistance de cette violence sociale aux Philippines. Avec le Président actuel Rodrigo Duterte et les six mille morts à ce jour occasionnés par sa guerre contre la drogue, il n’est pas interdit de penser que cela ne s’est guère amélioré et que le même film aujourd’hui serait nettement moins elliptique et encore beaucoup plus violent.

Sébastien

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