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« Les Misérables » de Ladj Ly

jeudi 26 décembre 2019, par Sébastien Bourdon

Un Monde sans Femmes

Le film est tellement tendu qu’il faut probablement s’accorder un peu de temps pour se permettre d’en parler. Par honnêteté intellectuelle, il faudrait sans doute même le revoir. Je suis sorti de la salle écrasé et tremblant, ça ne facilite pas le développement objectif.

Se dire que c’est un premier long métrage, un putain de premier film. Comment est-ce que ce type, Ladj Ly, a pu du premier coup, produire avec une telle force une œuvre qui fasse monde, presque univers.

Le lieu tout d’abord, a t’on jamais mieux filmé la banlieue, comme on disait autrefois, parlant plutôt aujourd’hui de cités ou de « territoire » ? Refusant les clichés (pas une note de rap !), le réalisateur met profondément les mains dans le cambouis.

Pour parfaitement poser le décor et nous permettre d’en comprendre les tenants et aboutissants, Ladj Ly utilise un stratagème classique, mais qui fonctionne parfaitement : l’arrivée d’un nouveau (Damien Bonnard), un bleu dans la BAC, à qui ses deux collègues font faire long tour initiatique dans le quartier (Alexis Manenti, Djibril Zonga). A l’instar de nous autres dans nos fauteuils, il est un spectateur progressivement informé des lieux et des personnages qui l’habitent. Après quarante minutes, il descend réellement de l’arrière du véhicule pour devenir acteur et plonger dans un bain d’angoisse particulièrement épais.

De l’autre côté de l’écran, nos mains vont se crisper sur nos accoudoirs.

Le scénario, inspiré de faits réels, porte indiscutablement toute la crédibilité nécessaire. L’écriture serrée et la mise en scène exemplaire portent une montée en tension progressive sans que cela ne soit jamais racoleur.

A l’instar des personnages du film, il nous est difficile de se soustraire à l’implacable mécanique qui se joue à l’écran : une succession d’événements incontrôlés qui amèneront ces journées caniculaires à un désastre inévitable.

Passé le choc, il n’est pas interdit de s’interroger sur ce qu’on a voulu ici nous montrer ou nous dire. L’exercice est alors un peu plus complexe car Ladj Ly, s’il montre beaucoup, semble peu juger.

Ainsi de la Police, potentiellement injuste et brutale, mais surtout faite d’hommes tentant de représenter la République en des lieux où elle est absente. Le film ne donne pas la Maréchaussée en pâture, même si c’est ainsi qu’elle finit.

De l’autre côté, les voyous endurcis ne valent plus grand chose, contribuant seulement à maintenir un ordre clanique, servant surtout leurs intérêts dans une immoralité assumée.

Les religieux semblent bien s’en tirer, mais on ne peut affirmer de l’oeuvre qu’elle suggérerait de leur donner le pouvoir. Est ici seulement surligné le fait que la nature a horreur du vide : en des lieux désertés par la République laïque, le religieux retrouve une place, presque nécessaire dans le chaos.

Restent les enfants, porteurs d’espoir comme d’effroi, ce que le film refuse de trancher dans sa scène finale. Gavroche n’est finalement pas tombé par terre, il s’est relevé et s’est armé, mais qu’en fera t’il ?

Sébastien Bourdon

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