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« Les Estivants » de Valeria Bruni-Tedeschi

lundi 4 février 2019, par Sébastien Bourdon

Cos’è la vita se manchi tu

Les filles riches n’ont pas toujours bonne presse et il est parfois de bon ton de dire du mal de Valeria Bruni-Tedeschi dont on peut quand même rappeler qu’elle n’a choisi ni ses parents, ni son beau-frère. Chaque nouveau film lui vaut ainsi fréquemment une critique hautaine et suffisante, balayant injustement profondeur du propos comme originalité de la forme.

Talentueuse et têtue, la réalisatrice franco-italienne poursuit son œuvre filmée, et sort le quatrième opus de ce que l’on peut qualifier d’autobiographie imaginaire. Elle évoque ici sa cinquantaine débutante plus ou moins glorieuse, entre couple défait, famille hystérique mais vieillissante et frère mort avant d’être vieux.

Pratiquant avec aisance une mise en abime permanente, Bruni-Tedeschi nous narre les retrouvailles avec les siens au cœur de l’été dans la somptueuse demeure familiale au bord de la Méditerranée française. Comme le déclare la gouvernante (Yolande Moreau), « on se croirait au Paradis, mais c’est l’Enfer ».

Probablement sur le point d’être larguée par son homme (Riccardo Scamarcio) mais refusant d’y croire, flanquée de leur fille adoptive (à l’écran comme dans la vraie vie), elle retrouve également sur place sa co-scénariste, la toujours merveilleuse Noémie Lvoski, cette dernière occupant cette même fonction dans la vraie vie de la réalisatrice.

Un tel dispositif filmé pourrait être écrasant d’égocentrisme (sa mère est une fois de plus jouée par Marisa Borini, dont elle est la vraie fille), mais la qualité d’écriture, l’universalité du propos et la distance humoristique lui permettent d’éviter ce piège.

Le film parvient à être juste aussi bien dans sa description des rapports de classe (les grands bourgeois et leur petit personnel) que dans l’évocation de la perte, que l’on parle de chagrin d’amour ou d’un frère trop tôt disparu.

C’est peut être en creusant dans sa propre histoire que Valeria Bruni arrive à décrire avec justesse les conflits récurrents entre son alter ego et ses proches sur l’utilisation faite de leurs vicissitudes réelles au profit de son œuvre (même si le film doit certainement beaucoup aussi à Tchekhov et Gorki).

En réalité, on pourrait aussi bien ignorer ces permanentes connexions avec la vie de l’auteur, ça n’en ferait pas moins un opus remarquable.

Oscillant entre la comédie et le drame, la drôlerie et le grinçant, Valeria Bruni-Tedeschi filme merveilleusement le biculturalisme et les névroses familiales. Ainsi des déballages soudains et embarrassants, semble t’il typiques des repas transalpins, avant que tout le monde ne se retrouve au salon de musique pour jouer et chanter Schubert ou des chansons italiennes (« Ma Che Freddo Fa »).

Avec un regard acéré, la réalisatrice n’oublie pas les cuisines et dépendances et filme comment ces mondes se côtoient sans se mélanger, dans une atmosphère de fin de règne.

Avec drôlerie et mélancolie, est donc évoqué le persistant conflit entre la droite et la gauche, notamment dans l’affrontement à mots à peine couverts entre Noémie Lvovsky, qui étouffe dans un monde excessivement bourgeois, et un exceptionnel Pierre Arditi en sarkozyste bouffi de suffisance dans sa piscine.

Le film s’achève dans des brumes qui évoquent « Amarcord » (1973) de Fellini, où se mêlent confusément et définitivement le réel et la fiction, l’art et la vie.

Sébastien Bourdon

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