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« Les Années Super 8 » de David Ernaux-Briot et Annie Ernaux

mardi 11 octobre 2022, par Sébastien Bourdon

Carburer au Super (8)

L’autre jour, quand on lui a remis le Nobel, je me suis dit que quand bien même je l’avais lue et le plus souvent appréciée, Annie Ernaux ce n’était pas de la grande littérature. Je n’ai jamais été estomaqué par sa créativité ou la puissance de sa plume. C’est un truc avec quelques pages qu’on achète en gare quand on a oublié son livre sur sa table de chevet. En plus, dans ma classe sociale (si elle existe), ça se révèle sans danger sur le plan idéologique, on ne peut être que d’accord avec elle.

Je ne nierai toutefois pas que sa lecture est de nature à éclairer, à faire comprendre et ce d’autant qu’elle écrit dans un langage simple et délié. « Passion Simple » sur ce que peut être un amour intrinsèquement sans issue, « L’événement » ou comment évoquer plus cliniquement l’absurdité violente faite aux femmes qu’est l’interdiction de disposer de son corps, me sont parus comme des livres extrêmement importants.

Mais ici, on met plus souvent des mots pour parler des films, il était donc très tentant de voir ce que cette femme au talent de plume certain allait faire des images de sa propre vie (Annie Ernaux ne faisant d’ailleurs que cela, faire de sa propre vie un matériau d’écriture).

Feu son ex mari Philippe Ernaux avait, comme beaucoup, acquis une caméra Super 8 au début des années 70. Et c’est de la matière tirée de cette merveille technologique et de l’usage qu’il en a fait que l’écrivain fait discours.

Elle raconte ainsi son couple, ses deux fils, les villes (Annecy, Cergy-Pontoise), les voyages (de l’Ardèche au Chili), les lieux, faisant sien le regard de son mari avec ce qu’il faut de distance et d’implication.

Elle parle d’elle-même, de sa difficulté à trouver sa place de femme qui écrit, en éternelle recherche d’une place comme d’une inspiration.

Il y a la distance née de l’éloignement du temps, mais aussi une peine si peu voilée à revoir les gens et les lieux disparus. L’auteur, avec sa légendaire sobriété, y glisse joies et souffrances retenues pour délivrer la mélancolie d’un temps et d’une époque.

De mai 68 à Mitterand, de Jean Ferrat à Iron Maiden, d’Allende à Pinochet, c’est aussi tout le parcours sociologique et idéologique d’une certaine classe moyenne française qui y est ainsi tracé.

Quel meilleur support que le Super 8 pour cet exercice de littérature du réel à l’écran ? Support muet et aux couleurs déjà fanées quand on le projetait à l’époque, aucun outil ne saurait mieux synthétiser ce temps. Chez nous, c’était ma mère qui tenait la caméra et qui montait soigneusement à la colle et aux ciseaux les souvenirs de nos jours. Le cinéma de campagne, on l’avait à la maison, avec l’obscurité nécessaire et le ronronnement du projecteur. Les vedettes c’était nous et les nôtres, mais dans ces projections disparues, il y avait cette magie du cinéma qui rend addictif aux salles obscures, pour toujours.

Sébastien Bourdon

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