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Lead a Normal Life

« Schock Corridor » de Samuel Fuller (1963)

dimanche 28 janvier 2018, par Sébastien Bourdon

« Schock Corridor » de Samuel Fuller (1963)

Dans le documentaire « A Fuller Life  » réalisé par sa fille, Samantha du même nom, l’héritière décrit fort bien ce géniteur qui décida de faire de sa vie un terrain d’expérimentation continue. Un type tellement convaincu que son existence devait être exceptionnelle qu’il y est simplement arrivé.

Pour cela, Fuller se sera efforcé de vivre d’autres vies que la sienne, jusqu’à se les approprier, de journaliste à soldat, d’écrivain à cinéaste. C’est de ces multiples expériences qu’il a bâti une matière à faire des films, avec un style et un ton à l’originalité indiscutable.

Fuller a fait un cinéma qui ne ressemble à rien de facilement identifiable. Dès le début de ses films, on ne sait pas trop où l’on va, on comprend seulement que le déplacement se fera vite et fort. Les introductions de « Quarante Tueurs » (1957) ou de « Naked Kiss » (1964) sont particulièrement emblématiques de l’art sauvage et ébouriffant de Fuller.

Ici, l’œuvre est d’un abord un peu différent, et parle finalement beaucoup du vécu de Fuller et de sa manière d’envisager la création : on vit et partant de là, on brode.

Un journaliste souhaite enquêter sur un mystérieux meurtre au sein d’un établissement psychiatrique. Sa motivation principale est d’obtenir le prix Pulitzer : plus que la fortune, c’est donc la gloire que vient chercher ce gratte-papier. Las, à vouloir passer pour un fou, il prend le risque de le devenir réellement.

L’asile ainsi intégré est un reflet allégorique de l’Amérique, pays que le réalisateur a arpenté de long en large, comme journaliste justement. C’est même cette exacte expérience itinérante et documentée qui l’a convaincu que l’écrit était insuffisant et qu’il lui faudrait passer à l’image pour réellement agripper le citoyen.

Est donc métaphoriquement décrit un pays violent et puritain, avec pour rejetons inévitables de la paranoïa ambiante des fous plus ou moins furieux (et quelques folles, forcément lubriques).

Le Sudiste illuminé est un ancien communiste, le leader du Ku Klux Klan, un noir etc. Tout est sans dessus dessous, de manière contagieuse et brutale. Le constat du film est sans appel et fort bien résumé par Scorsese dans sa lecture admirative de l’œuvre : l’Amérique est devenue un asile d’aliénés.

Film en colère, esthétiquement très impressionnant, avec un noir et blanc de belle facture, il n’en demeure pas moins d’un abord guère avenant. Le héros (Peter Breck) n’est mû que par l’ambition, les fous sont plus ou moins terrifiants et comme ignorés de ceux qui les encadrent, livrés à un grand couloir baptisé « la Rue », toute la sainte journée. La femme, seul être sensé, est fantomatique (mais voluptueuse - Constance Towers).

Ne facilitant pas non plus son accès, le film est plein de sursauts furieux et bruyants et de soudaines, mais magnifiques, visions (le surgissement de la couleur notamment).

Enfin, la morale de l’histoire (de l’Histoire avec un grand H ?) est trouble et guère optimiste

Sam Fuller racontait avoir assisté comme journaliste à une réunion du KKK où une adhérente avait conservé sa capuche, mais écarté sa robe pour allaiter un nourrisson. Plus tard, le même Fuller débarquera comme volontaire le 6 juin 1944 et filmera la libération de l’Europe, et notamment la découverte des camps.

De telles expériences forment rarement des optimistes, mais Fuller n’en gardera pas moins chevillée à l’âme la conviction de la nécessité de toujours se dresser contre la violence et l’obscurantisme. Et il a fait un cinéma à l’image de ses croyances comme de ses expériences. Parfois guère confortable, mais passionnant, palpitant comme une matière vivante.

Sébastien

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