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« La Zone d’intérêt » de Jonathan Glazer

lundi 5 février 2024, par Sébastien Bourdon

Der Lebensraum

Que nous est-il ici donné à voir dans la salle obscure (le film commence d’ailleurs par un écran noir) : la paisible vie d’une famille nombreuse, celle du commandant SS Rudolph Höss (Christian Friedel), sa femme et leurs petites têtes blondes.

Ce dignitaire nazi dirige le camp d’Auschwitz-Birkenau, son lieu de travail jouxtant même sa bourgeoise maisonnée, séparé par un simple mur d’enceinte.

C’est là un véritable jardin d’Eden qu’a patiemment conçu Hedwig, son épouse dévouée (Sandra Hüller), faisant de ces portes de l’enfer un petit paradis fondamentalement répugnant.

Mais surtout, très vite, que nous est-il donné à entendre. Car ce qui se passe de l’autre côté du mur de cette propriété cossue, on ne le voit jamais (à l’exception notable des fumées), mais on l’entend en continu. Le bruit d’une usine qui tournerait sans relâche et dont jailliraient parfois des hurlements et des éclats glacés d’armes à feu.

Le son génère comme un autre film mental au sein même de l’image. Incessant, à intensité variable, caché et omniprésent, distillant une terreur sourde.

La réalité n’est donc pas à rechercher dans l’époustouflant travail visuel, mais dans ce que l’on entend et devine, comme un cauchemar dont on ne se réveillerait jamais.

Comme les occupants de la maison Höss, nous n’ignorons en réalité rien de ce qui se passe réellement à Auschwitz, mais avec un degré de conscience bien différent des personnages (du moins faut-il l’espérer).

L’horreur de la Shoah est par essence indescriptible : depuis sa pleine révélation, sa représentation sous une forme artistique décente s’est révélée pratiquement impossible, quand elle n’était même pas contestée dans son principe, et particulièrement en images.

Alors fallait il une fois de plus s’y atteler, chacun se fera son idée. Visuellement, on tient probablement la représentation la plus forte et la plus glaçante de la Solution Finale, et ce sans jamais rien montrer frontalement (respectant ainsi les préceptes de Claude Lanzmann).

Ensuite, le rappel de ce que ce fut un projet industriel de destruction, et vécu comme tel par ceux qui y travaillèrent, est également parfaitement décrit.

Rudolph Höss participe benoîtement et servilement à cette mécanique de froide extermination, à laquelle on ne peut adhérer que par un biais idéologique ou par un simple besoin d’appartenance au système. Ainsi de cette réunion berlinoise des huiles de ce rouage infernal, où il nous est confirmé que décider de tuer en masse s’organise finalement exactement comme un CODIR à La Défense.

Jonathan Glazer s’est déjà intéressé, mais avec une extraterrestre tueuse (« Under the Skin » - 2013) à ce que c’était qu’être humain, où cela allait se loger. Ici, l’inhumanité est ce qui caractérise notre espèce. Les vagues sursauts de conscience des protagonistes - quand ils en ont - sont bien trop ténus pour y extirper le moindre espoir.

Esthétiquement fulgurant dès la première noire seconde, le film pêche toutefois par la lourdeur quasi rhétorique de sa démonstration. Pesamment, on nous rappelle que les SS aussi aimaient les chiens, les chevaux et même leurs enfants, quand ils ne répugnaient pas à satisfaire des pulsions sexuelles hors les liens du mariage.

Les froides péripéties sont ainsi prévisibles comme la banalité du mal.

Reste au final un film quand même assez exceptionnel, hors du commun filmé. À quoi servira t-il, à qui, pourquoi, on ne sait, et c’est d’ailleurs probablement l’interrogation posée par les dernières images.

Sébastien Bourdon

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