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« Masculin/Féminin » de Jean-Luc Godard (1966)

mercredi 7 décembre 2016, par Sébastien Bourdon

La Tendresse

François Truffaut, au moment de la consommation épistolaire de leur fâcherie, accusa Jean-Luc Godard d’adopter un « comportement de merde sur un socle ». On ne va pas se mentir, on a ici infiniment plus d’affection pour le réalisateur de « La Sirène du Mississippi » que pour celui de « Pierrot le Fou » Mais les sentiments évoluant, rien n’est figé n’est-ce pas, on s’est quand même laissé tenter par la projection sur copie neuve et grand écran du film dont il va être ici objet.

Jean-Pierre Léaud a, selon Truffaut toujours, souffert durant ce tournage, et il est vrai que, dès la première scène, attablé et fumant compulsivement, on le sent tendu. Le film est d’ailleurs globalement nerveux, épousant les humeurs de ces jeunes à la recherche d’eux-mêmes, durant ce que l’on appelle parfois dans un étrange élan d’optimisme, « l’âge des possibles ».

Le montage est haché et brusque, si l’on semble suivre une chronologie, cette dernière est parfois interrompue par des scènes sans lien avec l’action, où l’on sent que le réalisateur a à cœur d’évoquer ses idées et conceptions sur des sujets divers.

Le son correspond globalement à ce qui se passe à l’écran, mais il peut s’arrêter soudainement, ou être parasité par des effets sonores (coups de feu, bruits de conversation...). C’est un peu déconcertant mais, cinquante ans après la sortie de ce film, ce sont des libertés formelles qui ne heurtent plus franchement le spectateur.

Il convient enfin de relever la remarquable fluidité de la caméra, notamment dans les déplacements en espaces clos (cafés et bars, essentiellement) et la liberté prise de filmer ou pas ce qui se passe, se risquant à l’ellipse immédiate.

Il s’agit là d’un film libre et éveillé, indéniablement. Toutefois, cette manie déjà évoquée de placer ça et là des choses absconses, mais qui au fond feraient sens et trahiraient des fulgurances de la pensée, se révèle un peu usante à la longue (le film dure près de deux heures). Sont ainsi placés par des inserts sur l’écran ou dans les dialogues des propos politico-philosophiques sur « les enfants de Marx et de Coca-Cola  » : « donnez-nous une télévision et une voiture, mais délivrez-nous de notre liberté » Cela peut aller assez loin, notamment avec cette sentence sur laquelle une dissertation s’impose (vous avez quatre heures, je ramasse les copies ensuite) : «  La taupe est inconsciente, mais elle creuse dans une direction déterminée ».

Ce fatras philosophique apparaît parfois comme un peu pompeux, mais le film n’oublie quand même pas d’être assez drôle et absurde. Pour le plaisir des yeux, on relève également des caméos de Françoise Hardy et Brigitte Bardot, icônes culturelles sexys des sixties.

Jean-Luc Godard filme aussi avec brio et de manière quasi documentaire la vie d’une époque, les êtres, les objets symptomatiques, la ville (Paris). Est-ce ainsi que mes parents avaient vingt ans, en ces exacts lieux ?

Et puis, de tout ce fatras idéologique et stylistique ressort quand même quelque chose d’assez beau et tragique et qui vient sans doute de l’inspiration tirée par le cinéaste de deux nouvelles de Guy de Maupassant.

Si éventuellement misogyne soit le film, il n’en fait pas moins un constat triste et éclairé de la condition masculine. Les hommes se frottent bêtement et maladroitement aux femmes, se croyant bien malins avec leurs rires gras et leurs attitudes de fier-à-bras, quand ils ne tarderont pas à se heurter cruellement à leur beauté et à leur grâce. Sublime plan de femmes nues se douchant derrière une vitre opaque et dont on ne devine rien, ne filtrent que leurs rires, l’ombre de leurs corps et le bruit de l’eau qui coule.

Jean-Pierre Léaud se rend ainsi bien compte qu’il court après une chimère (Chantal Goya !), et que cette femme ne le voit pas vraiment. Lorsque l’amie de cette dernière (Marlène Jobert) lui dit qu’elles ne sont pas des filles pour lui, qu’il n’est pas de taille, il répond d’un cri bravache, répété plusieurs fois de suite « qu’est-ce que ça peut vous foutre ?! ».

Il met toute sa légère gravité et sa sincérité pour contrer cet évident désamour, mais l’attitude de l’être aimé le renvoie à la cruelle réalité, puis à la mort, aussi inattendue que brutale.

Comme le disait Cesare Pavese, « On ne se tue pas par amour d’une femme, on se tue parce que l’amour, n’importe quel amour, nous révèle dans notre nudité, misère, impuissance, nullité ».

Film moderne, mais d’époque, qui a du coup un peu vieilli, conservant toutefois charme et fraîcheur, et suffisamment de cruauté pour garder de sa pertinence et de son acuité. Mais les afféteries stylistiques et la longueur de l’œuvre refroidissent quand même un peu les éloges que l’on pourrait en faire.

Sébastien Bourdon

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