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« La Peau Douce » de François Truffaut (1964)

mardi 1er juin 2021, par Sébastien Bourdon

L’amour à Mort

On fait des films - où des livres - avec le matériel humain, les sentiments, comment ils vous viennent, comment ils meurent. Et comme le disait Hitchcock sur la meilleure manière de les présenter à l’écran : « Filmer les scènes d’amour comme des meurtres et les meurtres comme des scènes d’amour. »

Pierre Lachenay (André Desailly) est un intellectuel on ne peut plus bourgeois. Il vit confortablement dans le 16eme arrondissement avec femme (Nelly Benedetti) et enfant, voyage en avion pour donner des conférences, se rend au bureau où l’attend une secrétaire disciplinée. C’est un homme aussi libre que coincé, pur produit de son époque. On se demande d’ailleurs si cela pourrait exister encore de nos jours un type qui a une vie aussi agréable en vendant des palanquées de bouquins sur Gide ou Balzac.

Son existence est donc impeccablement rangée, mécaniquement ordonnée, comme le rappellent tous ces plans de mécanismes modernes (pompe à essence, minuterie, panneaux d’affichage etc.) que Truffaut insère dans un film qui va décrire, justement, un dérèglement.

En effet, en voyage à Lisbonne, Lachenay s’éprend d’une hôtesse de l’air (Françoise Dorléac), aussi jeune et fraîche qu’il exsude lui l’ennui et la prétention. Par quelle soudaine audace il arrive à aller au-delà du hasard de la rencontre pour se faire une place auprès d’elle, on ne sait. En effet, tout ce qui s’ensuivra révélera un homme malhabile et tétanisé, incapable de démêler les situations que l’adultère engendre inévitablement (parfois jusqu’au comique sombre, comme lors de la virée provinciale à Reims).

Le bourgeois soudainement transi est ainsi pris dans cette mécanique implacable du débordement des sentiments sur son existence, sans moyen propre d’y faire face. Chacune des réactions, les siennes comme celles des autres protagonistes, sonne juste, on s’y croirait dans cet intérieur cossu soudainement dynamité par la passion, le mensonge et la duplicité.

A la question éternelle de la cinématographie truffaldienne, « est-ce que l’amour fait mal ? » est évidemment répondu ici et une fois de plus par l’affirmative.

Mais le cinéaste semble ici de manière inhabituelle très attaché à la forme, suivant les préceptes et leçons d’Hitchcock avec une ardeur inédite. Quelques plans sont des calques de certains de ses films (« Les Enchaînés ») quand des idées de narration en sont comme directement extraites (« La Mort aux Trousses »).

Cette maîtrise de la mise en scène produit d’ailleurs ses effets, le film est haletant et nerveux, véritable « train dans la nuit » comme le souhaitait le cinéaste.

Si les sentiments sont justes, les personnages n’appellent guère la sympathie. Truffaut avait d’ailleurs dit souffrir durant le tournage de filmer des gens aussi peu engageants. Cela donne pourtant ce film presque parfait, sur le fond comme sur la forme, œuvre glacée sur un amour brûlant.

Sébastien Bourdon

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