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« La Nuit du Chasseur » de Charles Laughton (1955)

mercredi 17 février 2021, par Sébastien Bourdon

Love, Hate, Love

Qu’est-ce qui fait que ça marche, encore et toujours, après tant d’années ? « La Nuit du Chasseur », sorti en 1955, est l’unique film réalisé par un immense comédien, Charles Laughton. Devant la caméra, même lorsqu’il cabotinait outre-mesure, l’acteur marquait la pellicule, donnait à tous ses personnages une empreinte à leur démesure (et à la sienne). Citons ainsi : « La Taverne de la Jamaïque » ou « Le Procès Paradine » d’Hitchcock, « Témoin à Charge » de Billy Wilder, « Spartacus » de Kubrick et « Tempête à Washington » d’Otto Preminger.

Après avoir connu quelques ennuis au moment de la chasse aux sorcières du sinistre Mc Carthy, Laughton se lance dans la réalisation en 1955. Le succès ne sera hélas pas au rendez-vous, douchant ses envies de réaliser d’autres films. Il l’ignore au moment de sa sortie, mais ce conte terrifiant et humaniste marquera pourtant l’histoire du 7ème art, pour l’éternité (au moins).

Dans les années 30, Harry Powell (Robert Mitchum) pasteur – autoproclamé – balade sur les routes de l’Amérique profonde une bonhomie apparente qui n’a en réalité rien de rassurant. Personnage détraqué sexuellement et moralement, il poursuit de ses assiduités des veuves esseulées. Ce n’est pas la chair vibrante de ces créatures solitaires qui l’attire, mais l’argent et le meurtre.

Bien que criminel endurci, il se fait serrer comme un bleu par la police pour un vol de voiture ce qui l’amène à passer par la case prison pour une courte peine.

Durant ce séjour derrière les barreaux, il partage sa cellule avec un condamné à mort pour braquage sanglant. La nuit, l’écoute des rêves agités de son voisin de chambrée lui fait comprendre que ce bientôt mort a planqué chez lui un joli magot avant d’être arrêté par la patrouille.

Sitôt libéré, il fait son numéro de charme à la jeune veuve éplorée (Shelley Winters, dans un rôle de veuve émoustillée qu’elle reproduira chez Kubrick avec « Lolita ») tout en tentant d’amadouer également les deux enfants.

De cet affrontement lent et mobile, puisque les petits prendront la poudre d’escampette, Laughton eut pu tirer une banale errance de serial killer, mais il décide de basculer vers le conte, avec ce que le genre porte naturellement d’effroi.

Il est d’abord impossible de ne pas être frappé par l’audace et la beauté des prises de vue, qui ne sont pas sans évoquer - et pour cause - les expérimentations d’Orson Welles (même chef opérateur à l’ouvrage, André Cortez),

Ensuite, l’errance des bambins à la recherche d’aide donne lieu à des moments de grâce absolue, où semblent être célébrés l’enfance comme la nature. On pourrait qualifier ces plans de descente de la rivière sur fond de musique cristalline d’un peu superfétatoires, quand c’est là que réside toute la force de ce film à l’audace formelle encore vivace.

De surcroît, l’œuvre, si esthétique et novatrice soit-elle, évoque avec beaucoup de réalisme la souffrance et la peur des enfants, même si comme le rappelle leur protectrice Lilian Gish, ils supportent et endurent (« they abide and they endure »). Le propos est d’autant plus pertinent ici que l’action se déroule au moment de la Grande Dépression. La photographie en noir et blanc évoque d’ailleurs le travail effectué à l’époque par Walker Evans.

François Truffaut, du temps où il était critique, synthétisa cette œuvre mieux que quiconque : « film unique qui fait aimer le cinéma de recherches quand il cherche vraiment et le cinéma de trouvailles quand il trouve ».

Sébastien Bourdon

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