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« La Nuit a Dévoré le Monde » de Dominique Rocher

mardi 5 mars 2019, par Sébastien Bourdon

Certitude, Solitude

Un trentenaire (Anders Danielsen Lie), visiblement triste et las, se présente chez son ex pour y récupérer quelques affaires. Il débarque en pleine fête, dérange donc un peu et peine à communiquer dans le bruit, d’autant qu’il est d’origine étrangère (Norvège).

La soirée s’éternise et, comme ignoré de tous, il ne cesse de se cogner aux uns et aux autres, plus ou moins violemment, mais reste muré dans un silence dépressif. Ne parvenant ni à récupérer ses affaires, ni à se faire entendre, il finit par s’enfermer dans une chambre de l’appartement et, épuisé, s’y endort.

Ce n’est qu’au réveil que cette inquiétude latente se révèle pleinement dans une soudaine atrocité : tout le monde est mort ou devenu zombie. Sa sensation de solitude s’est cette fois totalement incarnée, il n’y a réellement plus personne avec qui communiquer. Chevalier à la triste figure, il lui reste à organiser sa survie dans l’appartement parisien, en essayant de ne pas être mordu, ni de devenir fou.

Se réfugiant dans la musique, entre solos de batterie enragés et compositions contemporaines interprétées avec ce qui lui tombe sous la main, il tente de conserver un rapport intellectuel et sensible avec un monde qui n’est plus franchement ce qu’il était.

Le réalisateur - qui adapte le très bon roman éponyme de Pit Agarmen (2012) - ne joue que très peu sur l’effroi pur, il se concentre sur son personnage, s’attachant à la monotonie inquiète de ses jours, mais surtout à son ressenti dans un tel dénuement. Finalement, le plus difficile dans ce chaos sanguinolent c’est de n’avoir personne à qui parler, avec qui échanger sur la difficulté d’être.

Prodigieux dans un exercice de style qui consiste en réalité à ne jouer avec personne (ou presque), l’acteur Anders Danielsen Lie nous renvoie au film qui nous l’a fait découvrir, « Oslo, 31 août ». Dans ce film de Joachim Trier, le cinéaste norvégien rejouait la partition de Louis Malle dans « Le Feu Follet » (1963), Danielsen Lie reprenant le rôle de Maurice Ronet.

Incarnant un ancien drogué sortant de clinique de désintoxication, le personnage revient dans la capitale norvégienne, tente de renouer avec les siens, mais retrouve invariablement cette sensation de vide intérieur qu’il avait tenté de remplir avec force seringues. Cette balade mélancolique et désabusée finit par devenir une marche funèbre d’une très grande beauté.

Et c’est ainsi que revient cette œuvre en mémoire une fois achevé ce surprenant film de zombies et que se dessine grâce au même comédien un formidable et inattendu diptyque sur la solitude contemporaine.

« Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur Terre » dirait Romero, ce à quoi Sartre lui rétorquerait « l’enfer, c’est les autres ».

Sébastien Bourdon

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