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« L’événement » d’Audrey Diwan

dimanche 28 novembre 2021, par Sébastien Bourdon

Mémoire de Jeune Fille

« L’événement » est d’abord un récit autobiographique d’Annie Ernaux, paru en 2000, dans lequel elle raconte son avortement clandestin. Texte court et ramassé où l’auteure expose sans pathos la brutalité d’une société qui interdisait aux femmes de disposer de leur corps. Enceinte sans l’avoir souhaité au début des années 60, la jeune étudiante avait dû faire preuve d’une farouche détermination – sans cette qualité d’ailleurs, pas d’écrivain qui tienne – pour reprendre son essentielle liberté.

Annie Ernaux fait de tout ce qui lui arrive littérature, mais ce livre porte une intensité particulière. Au-delà de l’expérience intime et violente, s’expose une réalité universelle, une essentielle réflexion sur la société et ce qu’elle fait de ses citoyens (Annie Ernaux produit d’ailleurs une œuvre fortement teintée de sociologie).

Pour cette adaptation cinématographique, la caméra ne prend guère de libertés avec le texte, et ce d’autant que le scenario a été travaillé avec Annie Ernaux. Comme dans le livre, c’est donc un film à la première personne : on ne quitte jamais la protagoniste, Anne (Anamaria Vartolome), que l’on s’attache à sa nuque ou à son regard. Nous ne la quittons pas des yeux dans cette quête obsessionnelle pour recouvrer sa liberté physique et échapper à la damnation sociétale qui impose à la « fille mère » de devenir « mère au foyer ».

Si l’on ne voit qu’Anne, son entourage existe, qu’ils s’agissent de ses amies ou de sa mère (Sandrine Bonnaire), de même que les divers intervenants auprès desquels elle va chercher une solution. S’agissant de ces derniers, le discours ne se fait pas simpliste : ainsi du corps médical qui ne semble guère empathique si ce n’est conservateur, mais on relève quand même des nuances (n’oublions pas que ce n’est pas seulement une question de principe, l’avortement était pénalement réprimé).

La réalisatrice Audrey Diwan - dont c’est le deuxième film - ne tente pas d’inscrire sa démarche dans une contemporanéité factice : il s’agit de restituer fidèlement un « événement » dans un temps donné. Elle a d’ailleurs beaucoup travaillé avec Annie Ernaux à combler ce que le livre ne contenait pas en termes d’informations sur l’époque, pour contextualiser plus encore.

C’est une autre époque certes, mais le film réveille une indignation non-éteinte : comment a-t-on pu imaginer si longtemps – et même persister parfois à considérer qu’il ne devrait en être autrement - faire vivre des choses aussi abjectes aux femmes d’ici et d’ailleurs au nom de principes rétrograde.

C’est une terrible trajectoire que cet envol - sueur, sang et larmes - vers une légitime et indispensable liberté d’être et de faire.

Sébastien Bourdon

« Le “Je” que j’utilise me semble une forme impersonnelle, à peine sexuée, quelquefois même plus une parole de “l’autre” qu’une parole de “moi” : une forme transpersonnelle en somme. Il ne constitue pas un moyen de m’autofictionner, mais de saisir, dans mon expérience, les signes d’une réalité  » Annie Ernaux

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